Homélie pour le 7e dimanche du temps ordinaire
« Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Il y a quelques années, en sortant de la messe dominicale où nous avions entendu le même évangile qu’aujourd’hui, un enfant me déclarait avec un sourire malicieux : « Moi, je n’ai pas d’ennemis, donc je n’ai besoin d’aimer personne ! » Il est facile de démontrer que ce raisonnement, qui repose sur deux prémisses aussi fausses l’une que l’autre, est un joli sophisme. D’une part, Jésus n’a jamais restreint le commandement de l’amour à nos seuls ennemis. S’il nous demande d’aimer ces derniers, à plus forte raison devons-nous aimer aussi nos amis ! D’autre part, s’imaginer que nous n’avons pas d’ennemis n’est rien d’autre qu’une belle illusion. Pourtant, avouons-le, cela nous aurait bien rendu service ! Pas d’ennemis, pas de combat ! Et sans combat, la vie serait tellement plus agréable ! Mais la réalité vient régulièrement nous le rappeler : depuis que nos premiers parents ont goûté le fruit d’un arbre au milieu du jardin, la division entre les hommes fait partie de notre lot quotidien. Et nous rencontrons des ennemis tous les jours. Il y en a de proches et de plus lointains.
Qui d’entre nous peut se vanter de n’avoir jamais aucune difficulté avec les personnes qui l’entourent ? Avec tel frère qui fait exprès d’éternuer bruyamment chaque fois que j’ai besoin de me concentrer sur ce que j’entends. Avec ce mari qui ne remarque jamais quand j’ai passé la serpillière sur le carrelage. Avec ce collègue de travail, ce voisin, cette belle-mère… Oui, dans chacune de ces situations, les gens qui nous sont le plus proche peuvent être pour nous des ennemis. Bien que les conflits avec eux soient souvent provoqués par des broutilles, ces ennemis-là ne sont pas les moins horripilants. Et Jésus nous demande de les aimer.
À ces ennemis proches s’en ajoutent d’autres plus éloignés, avec lesquels nous sommes en désaccord total sur des points essentiels. Je pense par exemple à ceux qui s’acharnent à démolir méthodiquement la civilisation judéo-chrétienne, qui promeuvent la légalisation et la banalisation du meurtre, à travers l’euthanasie ou l’avortement… Ces personnes-là sont assurément nos ennemis. Et Jésus nous demande de les aimer.
Puisque l’amour est un attrait pour quelque chose de bon, perçu comme désirable, comment est-il possible, me direz-vous, d’aimer ceux qui font le mal ? Il est important ici de se rappeler qu’aucun être humain n’est réductible à ses actions mauvaises. Toute personne humaine possède une bonté inaliénable, fondée sur sa dignité de créature à l’image de Dieu et sa vocation à la sainteté. Le plus vil des criminels restera toujours sur cette terre un saint en puissance. C’est ce regard-là que nous devons poser sur nos ennemis. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas lutter contre le mal qu’ils commettent. Le Catéchisme de l’Église catholique enseigne que la loi évangélique « est incompatible avec la haine de l’ennemi en tant que personne mais non avec la haine du mal qu’il fait en tant qu’ennemi » (CEC 1933). Il n’est pas facile de concilier ces deux positions. Et j’aimerais vous citer sur ce point l’exemple du serviteur de Dieu Jérôme Lejeune.
Alors que, dans sa jeunesse, ce professeur à l’esprit vif soulignait facilement dans ses lettres à son épouse les traits de caractère déplaisants de ses interlocuteurs, il finit par acquérir au fil des années une véritable paix intérieure et une extraordinaire bienveillance pour les hommes dont il combattait les idées. Au point que ses proches s’en étonnaient parfois. À son fils qui lui demandait comment il faisait pour rester calme lorsque ses adversaires l’agressaient, il répondit un jour : « Ce n’est pas l’homme que je combats, ce sont ses idées […]. Ce n’est pas contre moi qu’ils en ont, c’est contre la réalité que je leur rappelle. Ce qu’ils disent contre moi, cela n’a pas d’importance. »
Cet amour pour ceux qui lui voulaient du mal, Jérôme Lejeune l’a puisé dans son union avec le Christ. En effet, le plus bel exemple d’amour des ennemis nous a été donné par Jésus, qui a accepté de mourir pour nous sur la croix. « La preuve que Dieu nous aime, écrit saint Paul, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. […] Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils alors que nous étions ses ennemis » (Rm 5 ,8.10). Frères et sœurs, au cours de cette eucharistie, il nous est donné d’entrer en contact avec le mystère pascal, source d’amour infini pour tous les hommes. Déposons donc sur l’autel toutes nos relations conflictuelles. Et demandons à Jésus, quand nous communierons à son corps eucharistique, de venir lui-même aimer en nous ceux qui sont nos ennemis. Ainsi, en laissant se déployer en nous l’amour gratuit du Fils unique, nous serons vraiment les fils de notre Père qui est aux cieux, lui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Amen.