Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement, jeudi 30 mai 2024
« Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance. » La première alliance entre Dieu et les hommes dont nous parle l’Écriture est celle conclue avec Noé au sortir du déluge (Gn 9, 9). En descendant de l’arche, le patriarche construit un autel et offre un holocauste au Seigneur. Celui-ci établit alors une alliance avec Noé. Il lui promet de ne plus ravager la terre à cause du péché des hommes et lui donne en nourriture tous les animaux de la terre, tous les oiseaux du ciel et tous les poissons de la mer. À cette largesse, Dieu pose une condition seulement : s’abstenir de manger la viande avec le sang. Car le sang, qui est le siège de la vie, est sacré. Tout ce qui touche au sang touche à la vie. Et la vie n’appartient qu’à Dieu. C’est pourquoi l’homme n’a pas le droit de verser le sang de son semblable. Il n’a pas non plus le droit de boire le sang des animaux qu’il a immolés. Le sang est la part de Dieu. Dans les sacrifices, il est toujours réservé au Seigneur. Que ce soit dans les holocaustes, les sacrifices de communion ou les rites consécratoires, le sang est répandu par les prêtres sur l’autel. Car l’autel représente Dieu. On manifeste ainsi que le sang est offert au Seigneur, selon ce que lui-même a prescrit lorsqu’il a fait alliance avec les hommes.
De plus, en raison de son lien très fort avec la vie et avec Dieu, le sang possède une vertu purificatrice. Il est utilisé dans les rites d’expiation où une aspersion avec le sang de la victime purifie les hommes de leurs souillures, comme le rappelle le texte de l’épître aux Hébreux que nous avons lu tout à l’heure. Le caractère sacré du sang lave les hommes de leurs péchés et les restaure dans leur relation avec Dieu.
Bien longtemps après l’alliance noachique, le Seigneur a de nouveau établi une alliance avec Moïse. C’est le récit que nous avons entendu dans la première lecture. Là encore, il est question de la construction d’un autel et de l’offrande d’holocaustes. Là encore, on fait usage de sang pour manifester le lien entre Dieu et les hommes. Moïse a lu aux fils d’Israël toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances, et ceux-ci se sont engagés à le suivre. C’est alors que Moïse prend le sang des sacrifices offerts au Seigneur, pour sceller cette alliance. Une moitié du sang est répandue sur l’autel, qui représente Dieu, tandis que l’autre moitié sert à asperger le peuple. À travers ce rite, le Seigneur et Israël, en ayant part à un même sang, communient à une même vie. Ils sont unis par une relation d’alliance réciproque.
Quand Jésus, au soir du jeudi saint, propose la coupe à ses disciples en disant : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance », il se place dans la continuité de l’alliance conclue avec Moïse, tout en la dépassant pour la porter à son achèvement. Le sang qui permet de sceller entre Dieu et les hommes une alliance nouvelle et éternelle n’est plus le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais le sang de Jésus lui-même, qui « s’est offert à Dieu comme une victime sans défaut ». Si ce sang nous « a obtenu une libération définitive », c’est parce qu’il ne signifie pas seulement la vie de manière générale, comme celui des animaux. Si ce sang nous purifie du péché et de la mort, c’est parce qu’il est celui d’un Dieu fait homme. La vie dont ce sang est porteur est une vie divine.
Par son sang très saint, le Christ a scellé entre Dieu et les hommes une alliance nouvelle et éternelle. Et il a voulu que, de génération en génération, son sang soit répandu sur les hommes pour les faire entrer dans son alliance. Pour cela, il a établi qu’à chaque eucharistie, par les paroles de la consécration, les prêtres de la nouvelle alliance rendraient présents sur l’autel son corps très saint et son sang précieux, versé pour la multitude en rémission des péchés. Au moment de la communion, ce sang répandu sur nos lèvres nous purifie de nos péchés et nous fait entrer dans l’alliance définitive que Dieu a établie avec les hommes. À chaque eucharistie, le Seigneur renouvelle avec nous son alliance pour que nous en vivions toujours plus intensément. Voilà le mystère que propose à notre vénération la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Oui, le Seigneur, qui nous a sauvés par son sang, est au milieu de nous jusqu’à la fin du monde. Nous sommes son peuple. Il est notre Dieu. Que notre louange, donc, soit pleine, qu’elle soit sonore ! Que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! Amen.
+ fr. Jean-Vincent Giraud, abbé