Homélie pour le treizième dimanche du temps ordinaire, 30 juin 2024

Voici quelques semaines maintenant, un projet de loi en vue de légaliser l’euthanasie prenait une tournure inquiétante. Il a provisoirement été interrompu, en même temps qu’était dissoute l’Assemblée qui « portait » ce projet.

Justement, aujourd’hui l’Écriture nous envoie un message très troublant : on ne trouve pas sur terre de poison qui fasse mourir, autrement dit de poison euthanasique. Est-ce bien sûr ?

Le poison de la mort nous entoure et peut-être même nous tourmente chacun, ou bien touche nos proches. Mais nous restons cois devant cette affirmation divine.

Justement, l’évangile nous rapporte qu’une petite-fille née 12 années auparavant se meure. Ce drame ne vient-il pas tourner en dérision l’affirmation de la sage Sophie ?

Et cette femme qui depuis 12 années voit couler hors d’elle du sang – le sang, principe de vie tellement sacré aux yeux des juifs que ceux-ci n’ont le droit de l’approcher d’aucune manière. Cela pose la même question !

La mort ne règne-t-elle donc pas sur la terre finalement ?

Que signifie donc le verset du livre de la Sagesse ?


« Dieu n’a pas fait la mort »1 est-il écrit. Face à cette affirmation, il nous faut donner foi et admettre que nous ne comprenons pas tout.


À vrai dire, l’Écriture, dans sa traduction française, nous apprend quelque chose de capitale qui peut ouvrir une piste. « Au commencement Dieu »2 ! Ce sont les premiers mots de nos bibles. Dans un monde hyper individualisé, nous oublions trop souvent que Dieu vient d’abord et non pas nous avec nos raisonnements. Avant toute chose, Dieu est, Dieu sait, Dieu parle.

Et que dit Dieu ? Que fait-il ? Il crée la vie, la vie terrestre. Il n’a pas créé la mort mais la vie, c’est un fait révélé auquel nous croyons dans la foi avec toute l’Église. Au commencement « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable »3 ! Dieu a mis dans le monde un principe de vie, une vie puissante, une vie qui pousse. Oui la vie pousse absolument tout sur son passage, un peu comme une mer que rien ne peut arrêter, mais en plus fort encore. La vie, c’est l’Esprit. Et l’Esprit c’est la vie.


Mais tout de même, la mort, la souffrance ? Quelle injustice ! Quant tout va bien il est facile de trouver des formules lénifiantes pas chères, pour se dédouaner, ou même pour croire pouvoir nous excuser de croire en un Dieu tout-puissant que mort et souffrance semblent laisser indifférent. Dieu n’a pas besoin d’avocat.

Le diable a commis cette folie de se croire l’égal de Dieu et de pouvoir lui réclamer des comptes sur son gouvernement : ferons-nous le jeu du diable ? Sa jalousie qui est un refus de vivre, un refus de laisser la vie reçue s’épanouir et pousser, cette jalousie diabolique a produit la mort et la souffrance. Oui, « c’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde »4.

Mais la Sagesse ajoute : la justice est immortelle ! Il ne serait en effet pas juste que la mort pût l’emporter. Et elle ne l’emporte justement pas : voilà la Bonne Nouvelle de l’Évangile ! La vie continue partout où Jésus se trouve. C’est un des enseignements de l’évangile de ce dimanche. Jésus vient stopper l’emprise de la mort, il la prend sur lui, tout comme la souffrance : il y met un terme, comme l’enseignent ces deux guérisons. Jésus redonne la vie : la vie déborde tellement de Lui, que cette force sort de lui « à la première occasion », si je puis dire. La vie, c’est Lui, comme le dit Jean dans le Prologue de son évangile.


Oui mais !

Quand face à la souffrance, la prière n’est pas visiblement exaucée ? Quand nous demandons et supplions sans voir de réponse ? Je ne dis pas pour avoir un examen simplement. Je pense à cette maman qui met au monde un enfant et qui est foudroyée par un cancer quelques mois plus tard ; ou bien cet homme dont la vie a été presque un cauchemars continuel et que la maladie terrasse à 60 ans passés. Cela peut nous scandaliser de ne pas voir. Car la prière est toujours exaucée, mais pas toujours visiblement !

À des enfants, il fut un jour demandé de dessiner une représentation de Dieu. Parmi les réalisations des enfants, il s’en trouva un singulier. On y voyait des être humains à terre, visiblement morts, avec du sang un peu partout. Au dessus une légende ornait cette image : le Tout-puissant impuissant !


Nous qui croyons en Dieu, nous avons matière à être scandalisés car nous savons cette phrase de l’évangile : « si tu veux, tu peux me guérir ». Nous l’avons entendue tant de fois. Encore aujourd’hui, dans l’évangile, nous assistons à deux miracles de Jésus. Des miracles de guérisons, nous avons entendu Jésus en faire.

Et d’ailleurs, connaissez-vous un seul passage de l’Écriture où Jésus ait dit à quelqu’un qui lui demandait une guérison : « non, pas toi. Les autres oui, mais toi, je suis désolé, c’est non ! » ?

Alors quoi ? Que comprendre ?


Après un silence d’une bonne demie heure – comme il est écrit au livre de l’Apocalypse –, trois éléments peuvent sans doute être avancés.

Tout d’abord la certitude que Dieu veut tous nous guérir : parfois tout de suite, parfois dans quelques jours, parfois à la résurrection. À ce sujet il est bon de nous souvenir que le verbe grec sozw, fréquemment rendu par « sauver » dans l’évangile, signifie équivalemment « guérir ». Nous sauver c’est aussi la possibilité de nous guérir, y compris de nos maux physiques durant cette vie-ci. Mais pas toujours. Aujourd’hui encore, Jésus guérit. Il le fait très souvent à travers son Corps et son Sang. Recevoir son Corps à la communion c’est recevoir non seulement sa Présence mais aussi sa puissance de guérison : le croyons-nous ? (« Aujourd’hui Jésus me guérit » !).

Ensuite nous savons que la mort et la souffrance sont premièrement le fait du diable animé par un désir de vengeance et de haine irrépressible à l’égard de l’être humain. Il ne faut donc pas nous tromper d’ennemi.

Et puis il y a aussi notre propre timidité face au mal. Certes, il nous faut rester présent en silence devant la souffrance, avec une compassion immense qu’aucun mot ne saurait compléter. Mais nous sommes souvent tièdes. À ce sujet Irénée de Lyon, docteur de l’Église, écrit dans son ouvrage majeur contre les hérésies, ces lignes : « En son Nom, ses authentiques disciples, après avoir reçu de lui la grâce, œuvrent pour le profit des autres hommes, selon le don que chacun a reçu de lui. Les uns chassent les démons en toute certitude et vérité, si bien que, souvent, ceux-là mêmes qui ont été ainsi purifiés des esprits mauvais embrassent la foi et entrent dans l’Église ; d’autres ont une connaissance anticipée de l’avenir, des visions, des paroles prophétiques ; d’autres encore imposent les mains aux malades et leur rendent ainsi la santé ; et même, comme nous l’avons dit, des morts ont été ressuscités et sont demeurés avec nous un bon nombre d’années »5. Ces lignes décrivent la vie des chrétiens au 2e siècles, à Lyon. Pas les super chrétiens ; les simples chrétiens ! Elle met en lumière la pétition de Paul dans la deuxième lecture que nous avons entendue, où il fait remarquer que chacun doit avoir ce qui lui est nécessaire en le recevant des autres.

Et nous, croyons-nous encore que cette puissance peut se déployer dans le Nom de Jésus ? Nous ne pouvons pas garder notre foi et les grâces qui y sont liées pour nous seuls : il nous faut les partager, à la manière des chrétiens de Lyon du 2e siècle si nécessaire.

Finalement il y a la Sagesse de Dieu à laquelle il nous faut revenir pour conclure. Dieu sait. Et c’est humiliant pour nous de devoir rester incapables de comprendre cette Sagesse qui n’est pas humaine. Il nous faut à la fois combattre la souffrance et la mort, nous occuper de ceux qui souffrent, et confier ceux qui les subissent à Dieu qui sait, qui compatit, et qui est juste.


C’est justement en ayant sous les yeux les terribles souffrances et la mort injuste de son Fils que Marie a reçu la mission d’être notre Mère. Demandons-lui de nous aider à entrer un peu dans la Sagesse de Dieu, comme elle sut elle-même s’y laisser conduire. Remettons-nous entre ses Mains maternelles et laissons-là œuvrer par nous comme elle le désire. Sa présence fera venir sur nous l’Esprit Saint qui nous fera comprendre toute chose et nous donnera l’audace d’aller vers nos frères souffrants, avec un cœur humble mais généreux. Et Jésus agira de nouveau !


Amen


1Sagesse 1, 13.
2Genèse 1,1.
3Sagesse 2, 23.
4Ib. 2, 24.
5Irenaeus, Contre les hérésies. 2,2 : Texte et traduction, Paris, Cerf, 2006 (Sources chrétiennes 294), p. 341 – II, 32, 4.

frère Laurent de Trogoff +

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