Homélie pour la nuit de Pâques 2023

A la lumière discrète de nos cierges allumés, cette nuit très sainte vient de nous conduire aux premières lueurs de ce troisième jour dont parlent, parfois de manière énigmatique, les saintes Écritures.

Depuis la douloureuse passion du Christ en Croix, le temps semble avoir perdu son espace, sa mesure, son poids et peut-être même le caractère de supplice de ses instants successifs qui n’en finissaient plus, à l’image du mythe de Sisyphe. Le temps n’existe plus. La mort du Christ semblait avoir tout emporté, jusqu’à l’espérance même. Est-ce qu’on mourait vraiment avant le Messie 1, se demande le poète ?

La nature a comme retenu son souffle, contemplant son créateur écrasé, incrédule aux événements sans avenir, à l’unisson des apôtres qui n’en reviennent pas de tourner et retourner toutes ces images dans leur mémoire naturelle.


L’exégétique question de savoir si ce troisième jour est bien à sa place et s’il n’en manquerait pas un à l’appel, perdu en chemin, n’a guère plus d’importance. À quel instant ce compute journalier s’est-il vraiment déclenché ? Peut-être le Jeudi saint ? Le Christ ne s’est-il pas donné déjà tout entier à la Cène ? Mais est-ce si important, encore une fois ?


Comme nous l’entendions lire dans la toute première série des lectures de l’Ancien Testament, les premiers jours bibliques de la création de notre monde furent comptés du soir au matin. Similairement, cette Nuit tout change, ou bien tout commence ! Le Christ, Nouvel Adam, semble reprendre la création là où il l’avait laissée au soir du Sabbat, ce fameux septième jour où Dieu chôma. Pour Dieu, chômer s’est demeurer inaperçu. Il était tellement devenu invisible que le diable en avait profité pour venir crâner dans le jardin, interrompant l’œuvre délicate de divinisation entreprise par le Créateur, mais que l’Antique ennemi, caché dans un arbre, compromis. Le piège de la bête angélique s’était refermé sur nos premiers parents.

Alors qu’il vient de se rendre visible une trentaine d’années, c’est malgré tout dans l’inaperçu que le Christ commence ce huitième jour de la création.

Après des siècles d’attente, la pierre tombale adamique roule et s’ouvre pour laisser jaillir la Lumière de ce huitième jour, ce Jour que fit le Seigneur après tous les autres, ce Jour de la vie, ce Jour de la Résurrection ! En ce Jour, Dieu lui-même en son Fils donne à goûter ce qui n’était [jamais] monté au cœur de l’homme et que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment 2. Ce Jour, cette Lumière, c’est Dieu lui-même. Oui, Il est ce Jour ! La nuit a disparu, les croyants n’ont désormais plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illumine 3 ! Et pourtant Jésus ressuscité disparaît de nos yeux comme le soleil en plein jour, ce qui est tout à fait impossible. Quel mystère !


Il ne tient qu’à nous que la lumineuse présence du Ressuscité ne disparaisse plus de nos cœurs. Si notre cœur est tout brûlant au dedans de nous, il nous appartient en effet de reconnaître le Ressuscité, de le suivre, d’échanger notre vie mondaine contre sa vie céleste afin de rechercher et goûter les choses d’en haut et non celles de la terre 4. Apprenons docilement, et à chaque instant, les sentiments qui furent dans le cœur du Christ Jésus 5 ! Faisons-les nôtres, avec la grâce de Dieu. Car désormais Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père ! Ressuscité, le Christ nous invite à le suivre partout où Il voudra que nous allions, afin de témoigner au monde de l’amour du Père qui nous a tout donné dans son Fils fait homme, et qui désire le faire savoir à l’humanité, encore aujourd’hui.


Oui, le Christ est vraiment ressuscité !


Amen, alléluia !

1 Grosjean Jean, L ’ ironie christique: commentaire de l’Évangile selon Jean, Paris, Gallimard, 1991, p. 253.
2 1 Co 2,9.
3 Cf. Ap 22,5.
4 Cf. Col 3,2
5 Cf. Ph 2,5.

frère Laurent de Trogoff +, prieur administrateur

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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