Homélie pour le 2e dimanche de Pâques, dimanche de la divine miséricorde
Lectures : Job 19, 1. 23-27a ; Luc 2, 25-32
Profitant des premiers instants du déconfinement républicain, notre Seigneur a surgi tel un voleur, afin de déconfiner dans l’éternité notre frère Robert. « Le Roi que vous espériez est enfin venu, cher frère Robert, et à défaut d’être seulement terrestre, Il est aussi céleste ! Celui que vous portiez sur votre cœur et qui vous régissait, est venu vous ravir ». N’est-ce pas merveilleux ?
Oui, c’est un peu comme le voleur qu’il dit être dans l’évangile (Mt 25, 43), que notre Seigneur est venu ce lundi matin vers 1h45 chercher son serviteur qui l’a servi dans son temple tant d’années. En réalité, le Seigneur n’est pas venu voler, mais reprendre auprès de Lui celui qui s’était consacré à Lui voici tant d’années. Notre frère nous était simplement prêté, pour nous sanctifier et nous servir, et nous l’avons aussi servi et peut-être avons nous aussi contribué à sa sanctification.
« … columnam novæ lucis salutabat », chantions nous ensemble ce lundi à l’office des Laudes, pour la fête des saints abbés de Cluny. L’un de ses anciens voisins de stalle rapportait que chaque fois qu’il entendait ce verset, pendant toutes les années où il fut au chœur, le frère Robert reproduisait de la tête ce que dit cette antienne : [se tournant vers le Cierge pascal] il saluait la colonne de la nouvelle Lumière pascale ! On l’imagine bien jouer ce geste avec l’aisance d’une chorégraphie qui lui était propre. Ce matin-là, Celui qui est figuré par cette lumière de Pâques est venu Lui-même recevoir cestte inclination de tête régulière, sorte d’ultime « suscipe » de notre frère.
Sans aucun doute possible, le frère Robert fut parmi nous un moine pascal. Presque tout en lui chantait la résurrection. Il était vraiment une sorte de témoin de la résurrection, comme on le dit au martyrologe, de l’apôtre Matthias fêté ce jour. Il est fort étonnant qu’il soit parti sans faire de bruit, au cœur de la nuit. Dieu était-il jaloux de cette âme ?
« Artiste, fleuriste, sacristain et chargé de la buanderie, proche des « passants », des pauvres, de nous tous en communauté » – comme me l’écrivait l’un de ses anciens pères abbés –, tout en lui irradiait cet enjouement pascal. Il avait appris à écouter. Il avait appris à ouvrir les cœurs. En un mot, il avait appris à aimer chacun. Le cœur blessé du soucis de l’unité, il œuvrait pour et désirait ardemment l’union de tous les chrétiens.
Un autre de ses anciens voisins coreligionnaire écrivait récemment : « … son optimisme, son ouverture d’esprit (…) l’ont gardé jeune jusqu’au bout ; c’était l’inverse d’une « âme habituée » pour reprendre la formule de Péguy. Il savait s’émerveiller, voir le beau côté des gens, des situations. C’était un moine heureux… Il laisse un bel exemple d’humanité, de profond attachement au Christ et à la simplicité de l’évangile ». Oui, nous pouvons reconnaître là notre frère. Le bienheureux John-Henry Newman déclarait un jour que les Bénédictins gardent toujours quelque chose de l’enfant. Tel était peut-être l’un des secrets de l’âme du frère Robert.
En août dernier, notre frère célébrait ici même ses 70 ans de consécration au Christ dans la vie monastique bénédictine. Il en fut très heureux, tout simplement heureux. S’il perdait souvent le sens du temps, des dates et des jours, les mystères de la foi continuaient de l’habiter. À l’ouverture de la Semaine Sainte il m’avait dit, les yeux plein de larmes, sa profonde reconnaissance en pensant à ce Salut obtenu pour nous tous par le Christ dans sa Passion : « Il nous a tous sauvés ! » Oui la foi qui l’animait était à la mesure de son enthousiasme. Ces tout derniers jours il était revenu au réfectoire, sans se douter – pas plus que nous du reste – qu’il venait nous faire un petit au-revoir avant de prendre pour la dernière fois un ascenseur, qui cette fois-ci, ne s’arrêterait pas au second étage…
Avec tout cela, et comme chacun de nous, le frère Robert a connu aussi bien des épreuves dans sa vie, tant personnelle que communautaire. Aussi nous faut-il prier pour lui afin que ce qui pourrait rester d’obstacle à son ravissement, soit bien vite plongé dans la miséricorde divine.
Quoiqu’il en soit, c’est bien une colonne de prière et d’amour fraternel qui nous a été reprise. Et si son intercession auprès de Dieu ressemble à ses réponses chantées dont la finale n’en finissait parfois plus, alors nous avons une puissante aide auprès de Dieu, à qui recommander toutes nos difficultés. Rendons grâce à Dieu pour cette vie donnée à son service et prions Le de lui ouvrir grand son Ciel, pour que la joie de Dieu soit en lui et qu’elle soit complète.
Le Seigneur avait donné, le Seigneur a repris, que son Nom soit béni.
Amen. Alléluia !
+ fr. Laurent de Trogoff, prieur administrateur