Homélie pour le mercredi des Cendres 2021

« Ton Père voit dans le secret » ! Trois fois cette affirmation a frappé nos oreilles. Voici donc une belle invitation à entrer dans ce qui ne se voit pas, ce qui est caché, ce qui est secret, ce qui est séparé ? « Séparé » est justement la définition du mot « saint » dans son sens étymologique. Oui, les chrétiens sont invités aujourd’hui à une séparation, mais quelle séparation ?


Le texte de l’évangile répond très bien à cette question. Il ne s’agit pas de quitter la présence de nos semblables sous prétexte qu’ils ne seraient plus fréquentables pour diverses raisons, fut-ce un virus. En réalité, Jésus nous invite à entrer à l’intérieur de nous-même au lieu de nous répandre à l’extérieur. En somme il s’agit non pas d’une sorte de confinement spirituel qui nous conduirait à nous protéger de tout, mais bien à une prise distance de soi-même par rapport à des habitudes trop mondaines, trop faciles, trop individualistes, trop vides. Et cela en vue de retrouver le sens et la présence de Dieu, de la plénitude de sa grâce.

Et la première caractéristique de cette attitude est la recherche du silence. Comment écouter la Parole de Dieu, comment écouter la voie de l’Esprit-Saint si « les soucis du monde, la séduction de la richesse et toutes les autres convoitises nous envahissent et étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit ». Remarquez que, dans cette parole de Jésus les autres convoitises ne sont pas énumérées… Le mot « convoiter » n’est pas un mot très enthousiasmant. Le dictionnaire définit ainsi ce verbe : « désirer ardemment une chose qui est disputée ou qui appartient à autrui ». Entrer dans le silence de Dieu c’est précisément sortir de la convoitise. En effet, on ne met pas la main sur Dieu pas plus que sur le silence, on ne le peut tout simplement pas. Au contraire, Dieu se reçoit, mais il ne se reçoit pas n’importe comment. Et c’est justement l’objet de la quarantaine qui s’ouvre, de nous préparer à le recevoir.

Le travail qui nous est demandé n’est pas difficile. Il ne s’agit pas de renoncer à notre sensibilité par exemple, mais plutôt d’en orienter toute l’énergie vers une recherche effrénée de Dieu. Une telle démarche peut paraître difficile si on la vit individuellement ou bien comme une épreuve. Notre chance est justement que l’Église nous donne ce temps à vivre ensemble, en communion les uns avec les autres. Cela nous permet de nous appuyer les uns sur le bon exemple des autres, ce qui produit une saine et douce stimulation spirituelle. Tel est le meilleur moyen de combattre le terrible virus du péché qui ne trouve plus à se nourrir lorsque tous vont ensemble dans la même direction. Mieux encore, cet élan devient contagieux et emporte même ceux qui hésiteraient, tant la puissance de l’exemple et de la prière est forte et traverse le monde et ses plaisirs.

Ce travail n’est pas non plus une épreuve. C’est plutôt un changement de regard pour passer du secondaire à l’essentiel. Il s’agit d’apprendre à regarder l’invisible et à le contempler dans la foi. Non point le regarder comme un rêve ou bien une vue de l’esprit, mais dans la certitude ferme que donne la foi dans des réalités certes invisibles mais au combien réelles.


L’une des particularités de cette orientation, je le disais en commençant, c’est d’établir le secret, de construire une réalité secrète. Jésus nous demande de faire des choses pour lui, pour lui seul, mais en secret. Autrement dit à l’insu des autres. Qu’y a-t-il de plus secret que la vie intérieure ? Si le jeûne touche notre vie extérieure et ne peut pas être caché, ce même jeûne nourrit notre âme et lui donne un cadre favorable à une vie intérieure plus ample, plus vraie, avec la grâce de Dieu. C’est au cœur d’une telle vie qu’il nous est donné de percevoir et de recevoir la chaleur du regard aimant de notre Père. Souvent nous ne parvenons pas à bénéficier de ce regard divin parce que nous manquons de discrétion, de silence, d’esprit de secret, en un mot, de vie intérieure.


Passons donc ce carême à construire ou bien à développer cette vie intérieure afin de permettre à Dieu de venir se reposer dans nos cœurs. Oui, en vérité, notre Père voit ce que nous faisons dans le secret, et il nous le revaut dès cette vie, si seulement nous voulons bien l’accueillir.


Amen

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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