Homélie pour la messe du 21e dimanche du temps ordinaire, 25 août 2024
« Femmes, soyez soumises à vos maris » 1.
Comment ?
Comment un homme , comment un époux digne de ce nom peut-il entendre une telle affirmation sans bondir ?
Comment un époux qui aime véritablement son épouse pourrait-il ne pas être ébranlé par une telle affirmation ?
Lorsque l’on aime quelqu’un en vérité, la seule chose que l’on désire et qui vérifie l’authenticité de cet amour, c’est justement que l’être aimé soit magnifié, mis en valeur, loué, resplendissant, sans ride ni tache, ni aucun défaut, mais saint et immaculé 2 ! Mais certainement pas soumis ! (en tous les cas pas dans la religion chrétienne).
« Pour faire passer la dragée », on nous dit qu’il faut contextualiser le propos de Paul et que cela était bon pour son époque.
Seulement voilà : cette parole est révélée, et évacuer une parole révélée n’est jamais sans risque.
Ne faut-il pas envisager une approche plus mystérieuse, et considérer que la femme est une personne ontologiquement porteuse d’un mystère qui la dépasse tellement ? Un mystère, c’est à dire une réalité dont on n’a jamais fini d’explorer les richesses. Car la véritable question est bien d’identifier la femme dont parle Paul.
Paul cite le livre de la Genèse comme nous l’avons entendu :
« À cause de cela – écrit-il –, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un »3.
On peut se demander à quoi fait référence cet « à cause de cela » ? Il fait référence à ce qui vient d’être révélé juste avant en Genèse 2, 23, à savoir qu’à l’instant où Adam voit Ève, le couple qu’ils forment désormais tous les deux est alors dénommé par Adam lui même ‘ish et ‘isha. Adam qui est l’auteur de cette dénomination reconnaît lui-même une altérité complémentaire en cette ‘isha, et confesse être lui aussi une altérité à compléter.
C’est lui qui prophétise que chaque couple à venir, quittera père et mère pour se constituer en une unité antérieure à l’extraction de cet être mystérieux qu’est ‘isha. Celle-ci apparaît donc comme un « côté » 4 de l’Adam initial.
En effet, lorsque Adam est « opéré » par Dieu, Adam devient ‘ish afin de pouvoir trouver face à lui une ‘isha. L’annonce de voir quitter père et mère est quant à elle prophétique dans la bouche d’Adam, car Adam n’avait ni père ni mère à quitter, à moins qu’on nous ait finalement caché quelque chose , et qu’Adam ait eu un nombril…
Oui, cette ‘isha est bien un mystère, et cela jusqu’à la fin des temps. Elle est porteuse d’un mystère. Et ce mystère c’est l’Église elle-même, comme le dit Paul à la fin de son discours.
Finalement Adam et Ève devienne l’un pour l’autre un « mystère » à découvrir.
Mais les choses ont rapidement tourné mal, puisqu’une peur mutuelle s’est immiscée dans leurs relations. La peur qui est selon le livre de la sagesse « une défaillance des secours de l’intelligence ».
C’est justement la même peur qui fait défaillir les auditeurs de Jésus devant le mystère de l’Eucharistie dont il est en train de leur parler sans encore pouvoir le leur révéler complètement. Et Jésus ajoutera encore au mystère de l’Eucharistie celui de son Ascension.
Voulez-vous consentir aux mystères ou pas ? C’est peut-être toute la question finalement, la question qui traverse de part en part les trois lectures de ce dimanche. Celle du choix : voulez-vous consentir et servir ?
Dans la première lecture, après avoir remis à la mémoire des hébreux les actions de Dieu, Josué leur demande quel Dieu ils veulent servir. Ayant entendu les grandes actions du Dieu qui les a tirés d’Égypte, ils répondent que c’est ce Dieu-là qu’ils veulent servir.
Paul à sa manière nous place devant le mystère de la femme et de la vocation qui est sienne de révéler mystérieusement à la fois l’Église-Mère et à la fois les enfants de Celle-ci nés dans l’eau du baptême, et enfin l’Église-Épouse unie à son Époux divin.
Jésus, lui, nous place devant le mystère de son Corps et de son Sang comme nourriture.
Tous ces mystères sont assez « intolérables » pour les auditoires d’hier et d’aujourd’hui. Alors Jésus demande : « Voulez-vous partir vous aussi ? » 5 Ou bien croyez-vous que ces paroles que je vous ai dites sont esprit et vie,demande-t-il ? Cette question nous est posée aujourd’hui, très profondément. Avons-nous fait l’expérience de cette vitalité de la Parole de Jésus et de la puissance de l’Esprit qui l’anime ? Ou bien préférons-nous vivre comme des loques ?
Afin de vous montrer quelque chose de cette vitalité bouleversante, j’achève cette homélie par une histoire, ou plutôt par la lecture d’une lettre. On y perçoit nettement cette mystérieuse attraction du Père qui s’intéresse à tous ses enfants même s’ils ne le connaissent pas. C’est la lettre d’un homme condamné à perpétuité dans un camp de concentration ; un homme qui n’a jamais entendu parler de Dieu ni d’aucun évangile ni d’aucune bible et qui n’a jamais reçu de baptême. Ce jeune homme écrit ces lignes à sa maman :
« Ma chère maman. Je n’ai jamais été un bon fils ; j’ai attiré la honte sur toi et sur ma famille. J’espère que tu me pardonnes. Tu m’as donné une bonne éducation. J’ai défié le gouvernement, et par ma faute j’ai été condamné à la prison à vie alors que j’avais 18 ans. Aujourd’hui j’ai 31 ans et je n’atteindrai pas 33 ans car j’ai un cancer des intestins et les gardes ne paieront pas l’opération… Je vomis très souvent. Je ne travaille plus au fond de la mine, mais je dois surveiller des caisses, et cela me permet de voir la lumière du jour que je n’avais pas vue pendant 8 ans et aussi le vent qui soulève doucement le sable. Ma situation est sans espoir. J’ai pleuré longtemps et amèrement sur les choses que je n’ai jamais faites et que je ne ferai jamais. Je n’ai jamais rien eu en propre, je n’ai jamais gagné d’argent, ni mangé un bon repas, ni fabriqué un cerf-volant pour une enfant émerveillé. Et plus encore, je ne t’ai jamais dit combien je me sentais redevable envers toi et combien je regrettais de t’avoir causé un tel chagrin. Je suis arrivé à une double conclusion. La première est que ce monde n’est pas le seul monde. Je n’arrive pas à croire que je sois venu au monde par le miracle de la naissance pour mener une telle vie et disparaître définitivement. Je crois qu’il existe un autre monde où il y a une table à laquelle je pourrai m’asseoir, boire les meilleurs vins, manger à satiété, me lier d’amitié avec qui me plaît, parler sans crainte et ne pas avoir une sirène qui hurle à chaque demie-heure. Je crois également qu’il y a quelqu’un qui est assis à la tête de cette table… Un jeune prisonnier m’a parlé de quelqu’un qui a dit : « mon joug est aisé et mon fardeau léger ». Je ne sais pas ce que cela signifie mais tout ce que je peux dire c’est que lorsque j’ai entendu ces mots j’ai senti un soulagement et la conviction que ma mort n’était pas définitive et que ma vie n’avait pas été vaine. Maman, avant de mourir laisse-moi t’adresser une demande : découvre qui a prononcé ces mots pour que je puisse m’asseoir à table avec lui dans l’autre monde ».
Amen !
Fr Laurent
1Eph 5, 22.
2Eph 5, 27.
3Gn 2, 24.
4Le terme hébraïque « ṣèlâʿ » signifie plutôt « côté » que « côte ».
5Jn 6, 67.