Homélie pour le 27e dimanche du temps ordinaire 2024

Jésus donne un enseignement sur la famille : il veut sauver l’amour et la vie. Face aux pharisiens qui revendiquent le droit pour le mari de répudier sa femme, il rappelle que « l’homme ne peut séparer ce que Dieu a uni » ; et il dit à ses disciples qui les rabrouent : « Laissez venir à moi les petits enfants ».


Aux pharisiens qui l’interrogent sur le divorce pour le mettre dans l’embarrras, Jésus demande : « Que vous a prescrit Moïse ? ». En fait, Moïse n’a rien prescrit, il a seulement permis au mari de répudier sa femme à condition de légaliser la situation : ce n’était qu’un pis-aller destiné à réduire les inconvénients du divorce, une concession faite à des pécheurs, durs de cœurs, infidèles au Dieu de l’Alliance. Un certificat de divorce n’est qu’un chiffon de papier aux yeux de Dieu.

« Est-il permis ? ». La question se pose encore aujourd’hui, alors que des lois humaines autorisent tout ce qui se fait : divorce, avortement, et qu’elles légitiment des familles autres que l’union d’un homme et d’une femme. L’enseignement de l’Église est mal reçu de nos contemporains, mais celle-ci ne veut que proclamer l’Évangile, bonne nouvelle pour la famille.


Le mariage se réfère à un Dieu qui est Amour. Jésus montre le projet originel du Créateur par deux textes du livre de la Genèse : « Au commencement du monde, quand Dieu créa l’humanité, il les fit homme et femme » (Gn 1, 27). Ce n’est pas l’homme seulement, ni la femme considérée séparément, mais le couple qui est à l’image de Dieu. Le fait d’être « image de Dieu » bien loin d’exclure la sexualité, l’implique. En créant l’homme à son image, Dieu l’appelle en même temps à l’amour. La communauté de vie et d’amour que forme le couple a été fondée par le créateur : elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est à dire sur leur consentement personnel irrévocable (G.S. n.48).

Jésus cite un second texte : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 24). Une seule chair, un seul être à deux. Adam sans Ève n’est pas réellement né ; il peut dominer les animaux, il ne peut être homme sans que l’amour soit là. Son humanité est engourdie, non vraiment éclose. C’est la raison pour laquelle Adam est endormi par Dieu. Ce sommeil l’empêchera de croire qu’il s’est donné lui-même celle que Dieu, habilement, tire de son côté, c’est à dire de son cœur. Alors en la voyant, Adam s’écrie émerveillé – et c’est le premier chant d’amour qu’ait entendu le monde – : « Ah! Celle-ci c’est la chair de ma chair et l’os de mes os » ou « le cœur de mon cœur ». La sexualité signifie non seulement que je ne suis pas à moi-même mon origine, mais encore que je ne peux devenir moi-même sans consentir à ce que l’autre soit, hors de moi, la condition irremplaçable pour que je sois moi-même. Ma béance, mon manque-à-être, ma finitude est de n’être moi-même qu’en me découvrant par autrui et pour lui. « Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! ». Le couple reçoit de Dieu sa vocation à l’unité. La monogamie résulte du monothéisme. Dieu bénit l’alliance conjugale, œuvre de son amour, reflet de son mystère personnel de communion.


Le mystère nuptial est révélé en plénitude en Jésus, lorsque les temps furent accomplis. À la maison, Jésus poursuit son enseignement devant ses disciples. C’est à eux qu’il a manifesté sa gloire dans le premier signe d’un banquet de noce, à Cana. C’est lui l’Époux, endormi le côté ouvert sur la Croix, ce lit dressé à la face du monde où le nouvel Adam révèle l’art sublime d’aimer, non pas en refermant ses bras pour mieux posséder qui il aime, mais en les tenant grands ouverts pour que chacun se sache à tout jamais accueilli et reçu. Alors que le premier Adam reçoit son épouse en dormant sans qu’il y soit pour rien, le Christ se donne son Épouse et la fait exister en l’aimant jusqu’à la fin. Après son dur labeur, Jésus s’endort sur la Croix, mais à son réveil, au matin de Pâques, la situation est inversée par rapport au récit symbolique de la création. Ce n’est plus Adam qui est ébloui devant la beauté et l’amour de la femme, c’est bien plutôt l’Église, nouvelle Ève, qui est émerveillée par le second Adam et elle ne cessera plus jamais de redire, par ses enfants, le nouveau chant d’amour qui doit envahir le monde : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). L’acte d’amour aura été si absolu, tellement éprouvé au feu dont s’embrase la Croix, que plus rien ne pourra séparer le Christ de l’humanité dans l’Église. Jamais l’humanité ne sera répudiée par Celui qui vient d’en faire son épouse : aussi vrai que Dieu est toujours Dieu, le Christ en sera pour toujours le conjoint.


L’exposé sur le divorce est suivi de la vision radieuse d’une nuée d’enfants que Jésus embrasse et bénit. N’est-ce pas une invitation aux époux dont les cœurs ne battent plus à l’unisson de se souvenir de leurs enfants, premières victimes de la faillite du foyer familial ? N’est-ce pas une exhortation pressante à retrouver la jeunesse de leur amour et la pureté du premier don ? Le signe le plus lumineux et délicat de l’amour est donné dans les enfants. « Le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent ». Pour l’enfant, Jésus est le visage même de l’amour. Il peut l’aimer aussi simplement qu’il en est aimé. Le Christ est éducateur de l’affectivité. Il libère de la tyrannie des besoins pour ouvrir à l’oblativité du cœur. En accueillant l’enfant, les époux se font dépendants. Ils dépassent l’illusion de leur propre suffisance, et ils peuvent consacrer au Christ un amour qui sera d’autant plus à eux-mêmes qu’ils le reconnaîtront plus clairement reçu de Dieu. Le Christ est l’Époux qui se révèle comme la vérité d’un amour dont nous ne connaissons souvent que l’esquisse. L’amour conjugal de l’homme et de la femme se rapporte à l’amour du Christ pour l’Église. Jésus peut transformer notre cœur à l’image du sien.


Le Christ « est à l’origine du salut de tous. Car Jésus qui sanctifie et les hommes qui sont sanctifiés sont de la même race » (2e lecture). Le mariage, comme la vie consacrée, n’est ni une partie de plaisir, ni une voie de garage, mais une route de sainteté, abrupte et passionnante, qui n’est pas donnée toute faite au départ, mais qui est à recevoir à chaque étape, par grâce. Le mystère nuptial, qui est mort à soi-même et au péché pour une vie en l’autre, est renouvelé en chaque Eucharistie où Jésus livre son Corps et son Sang, avec toute la beauté de son amour. Amen.

fr Jean-Gabriel Gelineau +

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