Homélie pour la solennité de l’Épiphanie, 6 janvier 2024

Ce matin-là, à Jérusalem, on pouvait voir des enfants à toutes les fenêtres, le nez collé à la vitre, pour ne pas perdre une miette du spectacle éblouissant qui s’offrait à leurs yeux. Dans la rue principale, celle qui menait au palais d’Hérode, un convoi insolite s’avançait au rythme chaloupé de chameaux chargés de pierres précieuses et d’aromates, guidés par trois personnages richement vêtus. Avec leurs turbans et leurs colliers de perles, ils faisaient sensation, et tous les habitants de la ville avaient interrompu leurs tâches quotidiennes pour les regarder passer. Ces hommes venaient de loin. Originaires des vastes contrées orientales, ils avaient quitté quelques semaines plus tôt leur maison familiale et leur observatoire pour entreprendre un long voyage qui les conduirait jusqu’en Judée. Et voici qu’ils arrivaient au terme de leur route. Qu’est-ce qui pouvait bien les amener ici ?

« Où est le roi des Juifs qui vient de naître, demandent-ils ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En effet, ces hommes aux vêtements chamarrés étaient des mages. Leur métier consistait à observer le ciel en faisant de savants calculs sur le mouvement des astres et leur périodicité. Quelques mois auparavant, en ce début d’hiver où les nuits s’allongeaient de plus en plus, ils avaient aperçu une étoile à l’orient. Une étoile qui annonçait la naissance du roi des Juifs. Et ils s’étaient mis en route vers Jérusalem.

Comme vous le savez, frères et sœurs, les étoiles ont été créées par Dieu pour servir de « signes pour marquer les fêtes, les jours et les années » (Gn 1, 14). L’évolution de leur ronde au firmament du ciel permet de mesurer le temps qui s’écoule et qui fait revenir les saisons les unes après les autres. Elles aident ceux qui les observent à se situer dans le temps. En outre, avant l’invention du GPS, les étoiles étaient également très utiles aux marins et aux voyageurs isolés. En levant le regard vers la voûte céleste, ils pouvaient apercevoir l’étoile polaire, ou bien la croix du sud dans l’hémisphère opposée. À partir de celle-ci, il leur était facile de s’orienter et de se diriger en toute sûreté vers le lieu qu’ils cherchaient à rejoindre. Les étoiles permettent donc aussi aux voyageurs de se repérer dans l’espace. Elles leur servent de guides pour les conduire à bon port.

Frères et sœurs, tout à l’heure, quand vous sortirez de cette église, je vous invite à regarder vers le ciel, comme Abraham, et à compter les étoiles que vous apercevrez. Même si le temps se dégageait subitement, je ne suis pas sûr que vous en observerez beaucoup. Pour voir une étoile, il faut être dans la nuit. Pour distinguer cette lueur, il faut être privé de toute autre lumière. Le faible scintillement que l’on aperçoit alors se détache sur l’obscurité de la voûte céleste. L’étoile est un signe pour ceux qui sont plongés dans les ténèbres. Sa simple présence est déjà une victoire sur l’obscurité. À la vue d’une étoile, celui qui s’est égaré retrouve espoir. Il sait qu’il n’est pas définitivement perdu.

C’est ce qui est arrivé aux mages de notre évangile. Avant de découvrir l’étoile, ils se trouvaient dans la situation décrite par le prophète Isaïe dans la première lecture, lorsqu’il dit : « Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. » Les mages étaient dans la nuit, parce qu’ils ne connaissaient pas le Dieu d’Israël, ce Dieu véritable dont ils avaient soif sans le savoir. En scrutant le mouvement des astres, ils le cherchaient en tâtonnant. Aussi, « quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie ». Cette joie est celle de l’espérance. Du fond de leurs ténèbres, ils ont vu briller la lumière du Seigneur. Ils ont trouvé enfin le sens de leur vie. Ils ont compris qu’ils n’étaient pas définitivement perdus. Et ils se sont mis en route, le cœur léger, en pèlerins de l’espérance. Dieu les avait rejoints au cœur de leur métier, en leur donnant un signe qu’ils étaient capables de décrypter.

Les mages ne sont pas les seuls, dans notre page d’évangile, à recevoir un signe. D’autres encore sont invités par Dieu à se mettre en route vers Bethléem, et ils arrivent eux aussi à déchiffrer le signe qui leur est donné : ce sont les grands prêtres et les scribes du peuple. Leur champ d’investigation ne se trouve pas dans l’observation des astres, mais dans l’étude des Écritures. À eux aussi, Dieu parle à travers un langage qu’ils comprennent. Et ils savent l’interpréter ! Mais ils restent sur place. Ils se croient déjà dans la lumière et n’éprouvent pas le besoin d’être sauvés. Contrairement à ces mages venus de loin, ils ne se laissent pas toucher par l’appel que Dieu leur a adressé, et ils passent à côté de la joie qui leur était proposée.

Et nous qui sommes moines, nous qui sommes chrétiens, nous savons que Dieu nous fait signe. Savons-nous nous laisser toucher intérieurement par ces signes qu’il nous donne, à commencer par celui de l’Eucharistie que nous sommes en train de célébrer ? Oui, comme les mages, mettons-nous en route et adorons le Fils de Dieu venu pour nous sauver. Amen.

+ fr. Jean-Vincent Giraud

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