Chers amis du monastère, chers oblats,
Vous avez été plusieurs à nous demander des nouvelles de l’abbaye. L’occasion s’offre de vous en donner, et aussi de vous proposer quelques réflexions, à cette occasion.
Depuis le 17 mars nous partageons le même confinement que vous. Nous sommes retranchés à l’abbaye, évitant toute sortie n’ayant pas de nécessité forte. Bien sûr, pour nous c’est un peu différent : le confinement rend notre vie monastique juste un peu plus monastique ! Cette année la carême a donc pris une coloration particulière puisque nous sommes entrés en confinement dès cette troisième semaine de carême. Avec les mesures de prévention adéquates, nous continuons à célébrer les sacrements. Vous en êtes privés et nous le savons bien. Sachez que vous êtes bien présents dans notre prière quotidienne, même si dans l’homélie du Jeudi Saint j’évoquais justement le fait que votre absence rendait impossible le rite du lavement de pieds.
Comme nous l’avons appris, le confinement est prolongé jusqu’au 11 mai. Nous ne savons pas ce qui sera demandé ensuite : port de masque, déconfinement progressif, limitation des types de réunions ? Nous vivons aussi cela, là où nous sommes et avec les charges monastiques dont chaque moine est responsable.
On peut vivre ce temps en le perdant, comme on peut le vivre en en tirant profit. Le fait que nous soyons entrés en temps pascal n’y change rien. Profitons de ce temps si particulier pour approfondir notre relation avec Dieu. Pour y mettre encore plus de vérité, de générosité, d’authenticité. Oui, profitons de ce temps pour réfléchir à notre vie d’hier et au sens que nous aimerions lui donner demain.
L'épisode de la tour de Babel
Le fait que cette épidémie soit mondiale m’a amené à réfléchir à l’épisode de la Tour de Babel. On le trouve au livre de la Genèse au chapitre 11e.
L’épisode de la tour de Babel est situé entre deux événements singuliers. D’une part le déluge en amont, et d’autre part l’histoire d’Abraham en aval. Cet épisode de Babel est peut-être encore un symbole de l’époque dans laquelle nous vivons. L’histoire de cette tour arrive après une catastrophe qui a détruit l’humanité entière : le déluge. Un homme –Noé– a été sauvé avec sa femme, ses fils et belles-filles, et avec un couple de chaque espèce d’animaux qui peuplaient la terre. Ils sont sauvés par le bois (l’arche), ce qui nous parle singulièrement en cette proximité encore toute chaude de la Passion.
Il est écrit au tout début du livre du chapitre 11e ceci :
Toute la terre avait alors la même langue et les mêmes mots.
Certes, on n’y est pas encore tout à fait aujourd’hui, puisque la langue la plus parlée au monde est le chinois. Mais l’anglais est la langue commerciale la plus utilisée.
La suite du texte de la Genèse, nous dit que le peuple arrive dans une plaine. Il est donc vraisemblable que les hébreux descendaient de la montagne. Et voici qu’ils décident de fabriquer des briques afin de construire une ville et une tour. D’après le texte, la chronologie des faits est la suivante : faire des briques et les cuire au feu ; puis construire un ville et une tour qui montera au ciel. Il y a là plusieurs incohérences.
Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! fabriquons des briques et mettons-les à cuire ! » Les briques leur servaient de pierres, et le bitume, de mortier. Ils dirent : « Allons ! bâtissons-nous une ville, avec une tour dont le sommet soit dans les cieux. Faisons-nous un nom, pour ne pas être disséminés sur toute la surface de la terre. »
Comme le montre le texte, ils envisagent de fabriquer des brique, mais ne savent pas encore dans quel but. Notez aussi que fabriquer des briques alors qu’on a des pierres dans la montagne, c’est un peu dommage. Descendre dans une plaine pour faire une tour qui devrait monter au ciel, est aussi problématique : en partant de la montagne ils auraient déjà gagné de la hauteur. Voilà bien des contradictions apparentes. L’exégèse rabbinique relève que fabriquer des briques c’est s’émanciper de Dieu, c’est éviter d’utiliser ce que Dieu met à disposition de l’homme pour ses constructions : à savoir les pierres. De plus, ce projet grandiose vise deux buts. Égaler Dieu en atteignant le Ciel, et permettre une certaine uniformisation des personnes. Il s’agit en effet que tous travaillent à la même œuvre. C’est le but de leur entreprise, comme le dit le Seigneur :
Et le Seigneur dit : « Ils sont un seul peuple, ils ont tous la même langue : s’ils commencent ainsi, rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront ».
Ces hommes travaillent tous à la même œuvre, si bien qu’ils ne se demandent même plus si ce qu’ils font a du sens. Le but est le travail en commun et la mise à disposition uniformisée de chacun vise d’un but commun : construire la tour. Dès lors les différences individuelles qui font la richesse d’un groupe, sont balayées, tout comme les rythmes individuels et particuliers. Ils n’ont plus le temps de réfléchir à ce qu’ils sont. Il n’y a plus qu’une sorte de travail : construire la tour, et il n’y a donc plus qu’une sorte d’homme : des constructeurs. Le but de tous est la tour et non plus l’homme.
Un midrash –un commentaire rabbinique– raconte que lorsqu’un homme tombait de la tour, personne n’y prêtait attention. Tandis que lorsqu’une brique tombait tout le monde se lamentait et disait : « Quel malheur ! Qui nous apportera une nouvelle brique ? »
Cette histoire de la tour de Babel ressemble assez bien à ce que vivait notre monde jusqu’à ce qu’un micro virus vînt mettre à jour de manière universelle les failles du système. À ne plus vivre que pour gagner, sous toutes ses formes, les hommes ont oublié leurs semblables, tout comme la nature qui les entourent. Mais la nature, elle, ne nous oublie pas.
Prions et espérons ! Qu’à l’avenir, les hommes et les femmes se posent des questions sur ce qu’ils sont vraiment et la direction qu’ils veulent prendre, au lieu de repartir tête baissée vers la construction d’une autre tour, tout aussi délétères, pour y sacrifier l’homme et l’environnement.
+ Frère Laurent de Trogoff
Prieur administrateur
3 commentaires
genevieve gardin · 20/04/2020 à 10 h 03 min
merci pour tout!
et merci pour la crypte qui reste ouverte permettant une visite au seigneur
l ors de l heure de marche permise !
que le seigneur vous garde tous
BOUTIN · 25/05/2020 à 18 h 36 min
Bonjour.
Je viens de lire le texte de frère Laurent à propos de la tour de Babel.
C’est très intéressant, opportun, et approprié au moment.
M’autorisez-vous à le diffuser auprès de mes amis de la paroisse ?
J’espère également pouvoir revenir vous voir dès que possible.
Pour l’instant, le rayon de 100 km m’en empêche, et je ne pense pas que le « motif impérieux de ressourcement spirituel » soit admis par les gendarmes.
Je suis toujours en communion spirituelle, particulièrement frère Jean-Gabriel, mais également l’ensemble de la communauté Sainte Anne de Kergonan.
A plus tard, à bientôt j’espère.
Philippe BOUTIN, oblat.
Les moines de Kergonan · 25/05/2020 à 19 h 05 min
Bonjour,
Les textes publiés sur le site de l’abbaye sont publics, et peuvent être transmis à d’autres personnes, en mentionnant l’origine et la page de la première publication, s’il vous plaît.
Dans l’espoir de vous retrouver bientôt à l’abbaye,
les frères moines.