Homélie pour le Jeudi saint in Cæna Domini, 9 avril 2020

Traditionnellement, l’Église nous donne à méditer ce soir le récit du lavement des pieds. Comme nous le savons, ce récit est propre à l’évangéliste Jean. Celui-ci a reçu du saint Esprit l’inspiration de nous rapporter cet événement très particulier. Il passe délibérément sous silence le récit de la Cène, qui instaure pourtant le sacerdoce et l’Eucharistie. C’est pour le moins un sujet d’étonnement ! Arrêtons-nous un peu dessus pour le méditer.


Ce soir, cet évangile rejoint particulièrement nos contemporains qui n’assisteront justement pas à l’Eucharistie ce soir du jeudi Saint. De notre côté, notre trop petit nombre ne nous permet pas de revivre liturgiquement le lavement des pieds avec 12 apôtres. À sa manière, cette contrainte montre donc combien nous sommes privés les uns des autres et combien cela nous manque dans la célébration de la liturgie.


Alors une autre question se pose : qu’est-ce que le sacerdoce sans le peuple pour lequel le prêtre renouvelle l’unique sacrifice du Christ ? Ne lui manque-t-il pas une dimension capitale ? Pourtant si Jean n’a pas mentionné la Cène, on ne peut pas dire qu’il manque quelque chose à l’évangile qu’il nous a laissé. Alors que devons-nous comprendre ?


Le lavement des pieds fait partie de l’essence même du sacerdoce ! Le prêtre reçoit la mission de porter le Christ aux pieds de ceux qui lui sont confiés ! Jésus le dit lui-même : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ».


Jésus nous montre par ce geste et cette parole qu’il n’y a pas de limite au service que nous devons nous rendre les uns les autres. Lui-même n’a mis aucune limite au service qu’il nous a rendu ! Et quel service ! Il nous a rendu à la vie, nous qui étions condamnés à errer loin de Dieu éternellement. Lui qui était de condition divine, il a tout laissé pour l’amour de nous. Dans la phrase de Jésus que je viens de citer le verbe qu’il emploie est important. Il n’a pas dit vous pouvez vous laver les pieds, mais vous devez ! Le prêtre du Christ est donc engagé dans un service inconditionnel. Il ne devrait donc jamais oser dire en son cœur « maintenant mon tour ». Bien qu’il ne soit qu’un homme (et pas un Dieu comme le Christ qui est vrai Dieu et vrai homme), le prêtre se doit à ses semblables, jusqu’à leur laver les pieds, dans un geste devenu coutumier. À l’image du Christ qui l’a appelé, il lui faut se donner toujours, jusqu’à se mettre aux pieds de ceux qui lui sont confiés d’une manière ou d’une autre, ou plutôt de toutes les manières. C’est donc notre mission de prêtres (et sans doute aussi de consacrés) de porter spirituellement à toutes ces personnes qui ne peuvent assister à cette messe, les fruits dont elles ont besoin et qui leurs sont dus.

« Non, ce n’est pas pour rire que je t’ai aimé ! » Plusieurs saints ont entendu, dans le secret de leur âme, Jésus leur dire cette parole, que nous pouvons nous aussi méditer. Nous non plus, que plus jamais nous n’aimions pour rire ! Car le Christ nous le rappelle ce soir : la dette de l’amour mutuel est sans fin ; elle est pour ainsi dire insolvable, et elle témoigne que nous sommes au Christ.

+ fr. Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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