Homélie pour la solennité de la Nativité de la Vierge-Marie
Abbaye Sainte-Marie de Boulaur, 8 septembre 2025
La longue généalogie que nous venons d’entendre achève l’épaisseur masculine singulièrement lourde du temps qui s’est écoulé depuis 42 générations, par la douce fraîcheur d’un prénom féminin : Marie. En parcourant ce sentier irrégulier des engendrements bibliques qui le sont parfois tout autant et qui mènent pourtant au Christ, il me semblait entendre une autre page de l’Écriture, au premier livre des Rois, lorsque Élie, blotti dans sa montagneuse caverne, reçut la révélation du passage du Seigneur. Ouragan, tremblement de terre et feu qui se succèdent, ne résument ils pas l’essentiel de ce que ces hommes généalogiquement numérés auraient laissé après leur passage, si Dieu ne s’était compromis ?
Puis tout à coup, à l’oreille d’Élie monte un souffle léger, à peine audible. Littéralement le son d’une poussière de silence, d’après le texte hébraïque. La venue du Seigneur passe ainsi par un silence, et s’il avait fallu donner un prénom au silence désertique qui frappa alors l’oreille d’Élie, il aurait fallu l’appeler Marie.
Le souffle qui traverse cette petite-fille née il y a un instant n’est pas plus audible que celui que perçut Élie. Mais il nous parle déjà de Dieu lui aussi : il l’annonce. C’est un souffle léger qui parcourt ce petit corps virginal, animant celui-ci d’une douce respiration régulière et ventrale que le péché n’a pas corrompu des angoisses qui font remonter ce souffle dans la poitrine, au grand dan des maîtres chanteurs.
Une toute petite-fille vient de naître, et le chantre ne sait justement pas comment s’y prendre pour enémerveiller la fête. Car célébrer la Nativité de la petite Vierge-Marie c’est enivrer notre monde d’un océan de parfum selon l’étymologie du prénom hébraïque. Par sa présence mariale, cette toute petite-fille nous chante déjà la délicatesse divine d’un Dieu qui sait attendre jusqu’à prendre notre chair. Un souffle nouveau vient s’ajouter à notre monde, Dieu ne s’était encore jamais approché aussi prêt.
Parce qu’Il aime, Il vient dépendre. Dépendre dans l’effacement ineffable qu’implique l’amour. Singulièrement, il vient dépendre de deux êtres, Marie et Joseph, au terme d’une généalogie qui semblait presque n’en plus finir. Mais Dieu a le temps : il aime se révéler ainsi. Au rythme des longues pages de l’Ancien Testament, Dieu s’était progressivement révélé à ces créatures comme le Dieu qui répare ce qu’Il a créé. Aujourd’hui il se révèle comme le Dieu qui souffle sur ce qu’il a créé, et c’est son Esprit qu’Il souffle en Marie.
Comme Dieu se presse soudainement. Née il y a un instant, voici Marie déjà adolescente sans qu’on n’ait rien su d’elle. Et puis brusquement tout s’arrête. Après l’angélique visite de Gabriel, après les promesses de Dieu qu’il a lumineusement transmises, après la promesse à Joseph d’épouser cette unique créature que la terre n’avait encore jamais eu l’honneur de porter, Dieu se tait. Et c’est pour ce couple virginal, la nuit. Une nuit épaisse de 42 générations. Une nuit humaine où Dieu seul illumine, comme le chante le psaume. Joseph ne sait que faire, Marie ne peut rien dire. Demain il faudra se décider. Joseph le sait, il voudrait que demain n’arrivât jamais. Le silence contre lequel il se débat, résonne en lui comme l’incompréhension au cœur d’un être droit, juste, et aimant. Finalement c’est un songe qui viendra le délivrer de l’angoisse du lendemain et le celer dans la foi. Ne crains pas de prendre ton épouse chez toi car l’enfant qui est engendré en Marie ne vient pas de toi. Dite ainsi, la formule angélique manifeste mieux le poids fidesque dont Dieu charge les épaules de l’immense saint charpentier de Nazareth. Il ne pourra partager cette masse de foi qu’avec Celle en laquelle le souffle de l’Esprit Saint est arrivé, parce que Dieu l’a dit. Et il en fut ainsi.
Mais pour l’instant, il vaut mieux se taire, car la petite enfant repose aimablement sur les genoux de sa Mère Anne, qui couvre, comme d’un voile, de ce regard dont les mamans ont le secret, cette enfant tant attendue. Et Dieu semble lui murmurer à l’oreille : « moi aussi, tu sais, je l’attendais depuis si longtemps ! ». Silencieusement Dieu lui-même contemple son œuvre de grâce.
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