Homélie pour le 23e dimanche ordinaire

Abbaye Sainte-Marie de Boulaur, 7 septembre 2025

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« Quo vadis, mon gaillard ? », s’exclame le centurion romain dans le célèbre Bouclier Arverne, interpelant ainsi le soldat qui cherchait à filer en douce avec le fameux bouclier. « Quo vadis », « Où vas-tu » ? N’est-ce pas aussi d’une certaine manière la question que Jésus pose à son auditoire à travers les deux questions qu’il présente ?

Aujourd’hui Jésus nous parle dans l’évangile d’une chose capitale : être disciple de Jésus, suivre Jésus. Et plus précisément, il nous dit ce que cela implique de notre part de le suivre. Il ne nous dit pas en quoi être disciple va exactement consister. Pas encore. Ici, il nous informe simplement de ce que cela implique de notre part. Pour nous le faire comprendre, Il évoque deux entreprises qui vont toutes deux changer quelque chose dans la vie des personnes. 1) D’une part, construire une tour. Construire une tour, c’est faire au monde un apport humain, c’est un signe de développement, de croissance. C’est un signe de vie. C’est une invitation à la rencontre. Pour prendre un vocabulaire local, on pourrait dire que c’est une écotonisation. 2) D’autre part, partir en guerre. Partir en guerre, revient à confronter deux groupes de personnes dont les unes seront ensuite soumises aux autres, en principe. Ce sont des projectiles qui s’échangeront plutôt que des idées ou des modes de vie, et l’enrichissement des unes fera de facto l’appauvrissement des autres. Mais dans l’un et l’autre cas, l’entreprise doit faire évoluer la situation présente, elle va la modifier.

C’est sans doute le premier enseignement qu’il nous faut tirer de cet évangile. Devenir disciple de Jésus va nous modifier, nous transformer. Si nous ne voulons pas bouger, si nous sommes satisfaits de notre situation, alors nous ne serons pas attentifs à ce que Jésus enseigne ensuite. Il ne nous sera pas possible de suivre Jésus. Nous allons nous leurrer. D’où la question de tout à l’heure : « quo vadis ? » Oui : « où vas-tu ? ». « Où veux-tu aller au juste ? ». « Derrière qui marches-tu ? »

Et ceci nous amène au deuxième enseignement. Si tu veux entreprendre tel projet, qu’est-ce qui va te permettre de le mener à bonne fin ou bien qu’est-ce qui risque de t’en empêcher ? D’où l’invitation de Jésus à commencer par s’asseoir pour calculer. C’est très exactement là que se situe le problème de l’évangile. Jésus nous met en garde. C’est un peu comme s’il nous disait qu’il n’y a pas de « truc » pour le suivre, ni de méthode pour y parvenir. Il faut simplement choisir, mais il faut choisir tout de même. Pour l’exprimer dans un langage qui a fleuri voici quelques années, on pourrait dire qu’avec Jésus il n’y a pas de « en même temps ».

Le troisième enseignement consécutif aux deux premiers, est la liberté. La prière d’ouverture nous a fait demander que soit accordée à ceux qui croient dans le Christ « la vraie liberté ». De cette formule nous tirons une information et une question. L’information, c’est que la vraie liberté peut être concédée à ceux qui ont choisi de suivre le Christ. Il est permis d’induire de cela que ceux qui font un autre choix que le Christ n’auront sans doute pas accès à une aussi grande liberté, à une liberté authentique. Et voici maintenant la question. S’il est fait état d’une vraie liberté, serait-ce qu’il doit donc y avoir une fausse liberté ?

À vrai dire il y a surtout une fausse conception de la liberté. Pour nos contemporains, la liberté consiste à faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut. Ainsi donc cette « liberté » est conditionnée par quelque chose d’extérieur à soi. Cette liberté ne consiste pas à être mais à faire, à paraître. Elle est très exactement un esclavage, plus ou moins conscient. Son champ d’action est vaste. Il va de la mode vestimentaire ou bien langagière, à un succédané de charité « sans condition » dans laquelle on se « fourgue » plutôt qu’on se donne après délibération, en passant par des concepts laïcs comme l’éthique procédurale. Ainsi on va dire : « comme catholique je suis contre l’avortement, mais comme président j’y suis favorable » ; ou bien encore « à la fac j’enseigne l’évolutionnisme mais chez moi je suis créationniste ». Saint Carlo Acutis a résumé ce relativisme dans une formule extrêmement précise : « tous naissent comme des originaux, mais beaucoup finissent comme des photocopies ».

La vraie liberté consiste en effet pour la créature à atteindre son but, à prendre les moyens idoines pour atteindre ce pour quoi elle est faite, et plus précisément encore à atteindre Celui pour qui elle est faite. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi », comme le disait saint Augustin. La vraie liberté ne trouve son repos qu’en Dieu, si bien qu’elle consiste à suivre ce qui nous mène à Dieu. Ainsi tout obstacle sur cette route doit être contourné et jugé inapproprié, qu’il soit politique, matériel ou même encore d’ordre familial comme Jésus nous le déclare aujourd’hui. Mais ce que dit Carlo Acutis à travers la formule citée plus haut, va encore plus loin. L’usage de cette vraie liberté nous transforme ! Car chacun a quelque chose qui lui est propre à apporter au monde. Quelque chose que personne d’autre ne peut apporter, quelque chose qui manquera si je ne l’apporte pas. Car nous sommes des originaux, au sens originel du terme. Et ce quelque chose n’adviendra par la grâce de Dieu qu’à condition que j’agisse avec une vraie liberté ! Si je n’agis pas avec une vraie liberté je prive donc les autres de ce que je suis appelé à leur donner, et je commets un péché contre mon prochain.

Tel est l’enseignement de Jésus. Il est lourd de conséquences. Alors au terme de son enseignement, la question qui se pose à chacun, est finalement celle du centurion : « Quo vadis, mon gaillard ? »


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