Homélie pour le mercredi des cendres, 14 février 2024

Jl 2, 12-18
2 Co 5, 20 – 6, 2
Mt 6, 1-6.16-18

« Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! » Ces paroles du prophète Joël que nous venons d’entendre dans la première lecture sont bien adaptées à la liturgie de ce jour. Hormis la sonnerie du cor, à laquelle l’évangile ne nous encourage pas vraiment, nous voyons réalisées sous nos yeux ces injonctions du prophète. Nous avons commencé ce matin une journée de jeûne, et notre assemblée eucharistique réunit aujourd’hui plus de monde que d’ordinaire : anciens, petits enfants et nourrissons ont répondu à l’appel. Joël explicite le but pour lequel nous sommes rassemblés : « Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : “Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : Où donc est leur Dieu ?” » Au moment où écrivait le prophète, le peuple du Seigneur subissait l’épreuve d’une invasion de sauterelles, et y reconnaissait le châtiment qu’il avait mérité pour ses péchés. C’est pourquoi Joël exhorte les prêtres à implorer le pardon divin pour que cesse le fléau qui discrédite Israël aux yeux de toutes les nations.

Cette supplication s’inscrit dans la continuité de celle de Moïse. Au livre de l’Exode, après le triste épisode du veau d’or, celui-ci avait supplié Dieu en des termes similaires pour le dissuader d’exterminer son peuple : « Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple […] ? Pourquoi donner aux Égyptiens l’occasion de dire : “C’est par méchanceté qu’il les a fait sortir ; il voulait les tuer dans les montagnes et les exterminer à la surface de la terre” ? » (Ex 32, 11-12). Joël, comme Moïse, essaye de placer le Seigneur devant les conséquences de ses actes : si Dieu abandonne son peuple au châtiment que celui-ci a pourtant mérité, c’est lui qui en fera les frais, c’est son honneur qui sera bafoué. En effet, le Seigneur s’est lié à Israël, il a fait alliance avec lui, au point de lui être intimement associé, jusque dans sa déchéance. Si le peuple d’Israël se retrouve humilié aux yeux des païens, c’est sur Dieu lui-même que la honte retombera. On dira alors que le Dieu des Hébreux n’a pas été capable de leur venir en aide.

C’est à cette alliance que font appel les intercesseurs pour implorer du Seigneur le pardon pour son peuple. En donnant à Moïse les tables de la Loi, Dieu lui avait révélé son nom : « Le Seigneur, Le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité, qui garde sa fidélité jusqu’à la millième génération. » (Ex 34, 6-7). C’est avec les paroles mêmes du Seigneur que Joël exhorte le peuple à se convertir : « Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. » Le prophète se réfère ainsi directement à l’alliance que Dieu a établie avec Moïse. Et ce dernier avait aussitôt déclaré au Seigneur : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. » (Ex 34, 9). L’intercession de Moïse en faveur de son peuple est donc inscrite au cœur de l’alliance.

Frères et sœurs, vous le savez : Moïse est une figure du Christ, lui le seul véritable intercesseur, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. Jésus est le prêtre véritable qui a pleuré entre le portail et l’autel, en disant « Pitié, Seigneur, pour ton peuple ! ». C’est lui qui supplie le Père de pardonner les péchés des hommes. Au début de ce carême, alors que nous prenons davantage conscience de nos fautes, tournons-nous vers Jésus. Lui seul peut nous obtenir le pardon. Mais il veut nous associer à sa grande supplication pour les hommes. La tête n’intercède pas indépendamment de ses membres. Dans la deuxième lecture, saint Paul affirmait que « nous sommes les ambassadeurs du Christ », que nous sommes « coopérateurs de Dieu ». En ce mercredi des cendres, c’est le corps du Christ tout entier qui est appelé à supplier le Père de pardonner les péchés des hommes. Les nôtres et ceux de nos frères. Car nous sommes solidaires les uns des autres.

Ensemble, nous sommes invités à entrer dans une démarche de pénitence. Celle-ci doit être vécue au plus profond de nous-mêmes, comme nous y exhorte l’évangile. Les signes extérieurs comme l’imposition des cendres que nous allons recevoir, doivent refléter l’attitude intérieure de notre cœur. En demandant humblement pardon pour nos péchés, en suppliant la miséricorde du Père, pour nous et pour nos frères, nous pourrons parvenir tous ensemble à la sainte Pâque avec un cœur renouvelé. Alors nous partagerons l’allégresse de toute l’Église qui se réjouira de voir ses catéchumènes baptisés, ses pénitents réconciliés, tous ses enfants ressuscités. Amen.

+ fr. Jean-Vincent Giraud, abb.

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