Homélie pour la solennité de Sainte-Anne, 26 juillet 2025
« Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu. » Le passage évangélique que nous venons d’entendre, frères et sœurs, est tiré du chapitre 13e de saint Matthieu. Ce chapitre est tout entier consacré aux paraboles par lesquelles Jésus annonce le royaume des Cieux. Mais ce royaume est annoncé de manière voilée, à travers des histoires ordinaires de la vie quotidienne, dont le sens spirituel doit être scruté avec attention. Le royaume des Cieux ne se laisse pas entrevoir au premier regard. Les nombreuses paraboles employées par Jésus dans ce discours nous parlent d’ailleurs de réalités cachées et enfouies : du grain semé en terre, du levain enfoui dans la pâte, un trésor caché dans un champ. Pour trouver le royaume, il est nécessaire de creuser.
Ce que l’on découvre enfoui sous la terre peut toutefois nous réserver des surprises. La parabole du semeur, en effet, est suivie de celle du bon grain et de l’ivraie. Tant que la semence demeure cachée dans le sol, on ne la remarque pas. Mais lorsqu’en germant, elle vient à la lumière, elle manifeste sa vraie nature, bienfaisante ou nuisible. Deux exemples glanés dans la vie des saints en donnent une belle illustration.
Sur les pentes du mont Cassin, du vivant de saint Benoît, les moines voulurent un jour soulever un grosse pierre pour l’intégrer dans la construction du monastère qu’ils bâtissaient. Mais peine perdue ! Ils avaient beau exercer sur elle tous leurs efforts, elle demeurait inébranlable. Devinant que l’antique ennemi s’était assis dessus, les religieux eurent recours à la prière de leur abbé pour l’en chasser. Ainsi fut fait, et l’on enleva la pierre très facilement. On jugea bon, alors, de creuser la terre à cet endroit. Et les moines trouvèrent une idole de bronze profondément enfouie sous l’emplacement de la pierre. En attendant de s’en débarrasser, ils l’entreposèrent dans la cuisine. Et voilà que, dans ce bâtiment, ils virent comme un feu qui leur semblait sur le point de détruire tout le monastère. Alors qu’ils luttaient péniblement contre cet incendie imaginaire, Benoît leur recommanda de faire le signe de la croix sur leurs yeux, et la terrible illusion fut aussitôt dissipée.
Le second exemple s’est produit non loin d’ici, il y a 400 ans cette année. Le 7 mars 1625, un paysan de Keranna sortit en pleine nuit, accompagné de quelques voisins comme le lui avait recommandé sa bonne patronne sainte Anne. La petite troupe se mit en marche à la suite d’un cierge allumé, qui les conduisit jusqu’au champ du Bocenno, où il s’enfonça par trois fois avant de disparaître. Les hommes creusèrent la terre à cet endroit et découvrirent une statue de la sainte qui se trouvait cachée là depuis plus de neuf siècles. Sans attendre, les pèlerins affluèrent. Et le 26 juillet suivant fut célébré pour la première fois le grand pardon de sainte Anne. Depuis lors, les grâces ont été répandues en abondance au village de Keranna.
Deux statues enfouies en pleine terre, que l’on retrouve au bout de plusieurs siècles. Deux statues qui témoignent d’une pratique cultuelle ancestrale. Deux statues qui produisent, de manière durable, des fruits de mort ou des fruits de vie.
La statue du mont Cassin, en effet, est le reliquat d’un culte idolâtrique. Les traces du péché des anciens manifestent encore, plusieurs décennies après, leurs conséquences néfastes. Les pratiques idolâtriques des générations passées nuisent à la construction d’une maison de prière. Elles fournissent une occasion au malin, qui cherche à décourager l’implantation de la vie monastique.
La statue du Bocenno, en revanche, est la relique de la foi profonde qui animait nos aïeux. Cette image de sainte Anne avait été témoin de la prière de générations antiques, qui s’étaient tournées vers le Dieu unique et véritable, le Dieu qui nous a été manifesté en Jésus-Christ. Bien que leur souvenir se soit effacé pendant 924 ans et six mois, « leurs œuvres de justice n’ont pas été oubliées », comme nous l’avons entendu dans la première lecture. Demeurée longtemps cachée, l’humble vertu de ces chrétiens du VIIe siècle a porté du fruit pour notre temps et contribue aujourd’hui encore à l’édification de l’Église entière.
Frères et sœurs, nous qui portons en nous l’image du Dieu vivant, ne craignons pas de rester cachés avec le Christ en Dieu (Col 3, 3). Offrons-nous chaque jour avec lui dans son Eucharistie, par laquelle nous sommes associés au mystère de sa mort et de sa résurrection. Et ne nous décourageons pas si ce que nous semons ne semble guère porter de fruit. Le Seigneur est patient. « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu » (Mt 10, 26). Que sainte Anne, mère de Marie, nous accompagne sur ce chemin de grâce ! Amen.