Homélie pour la solennité de Ste Scholastique, le 10 février 2020, en l'abbaye St Michel de Kergonan

       Une rencontre annuelle ! Nous fêtons aujourd’hui une rencontre annuelle entre un homme Benoît de Nursie, et sa sœur Scholastique. Tout ce que nous savons de cette femme qui orne ce jour, tient dans un épisode de la vie de Benoît, épisode narré par le pape saint Grégoire le Grand. Et cet épisode se caractérise par une rencontre, une rencontre prévue, préméditée, sans doute même préparée et attendue. Une vie n’est-elle pas un tissage de rencontres ? Arrêtons-nous un peu sur cette rencontre-là.

       Pour essayer d’en expliquer l’occurrence, il semble difficile d’invoquer des motifs monastiques « réguliers ». Benoît et Scholastique vivent chacun une vie séparée du monde et bien séparée, orientée respectivement vers la recherche de Dieu dans le silence et le retrait du monde. Ainsi, la rencontre de ce jour n’a absolument rien de « régulier » quelque soit le sens que l’on veuille donner à ce mot. Mais alors est-ce que des liens familiaux pourraient expliquer sinon justifier cette rencontre ? L’évangile qui est au cœur de la vie de ceux qui mène une authentique recherche de Dieu – tels Benoît et Scholastique – demande que l’on renonce à tout pour le Christ : père, mère, frère, sœur, ainsi qu’à toute sorte de possession, y compris la possession de soi-même. Tout, donc, y compris les liens du sang. Mais alors comment placer cette rencontre dans le cadre de ces deux vies données à Dieu ? S’agirait-il d’un élan d’humanité, ou bien peut-être encore d’une exception ? Benoît ne manque certainement pas d’humanité comme en témoigne l’incroyable délicatesse et le discernement remarquable dont il fait preuve dans toute sa Règle.

       Le motif de cette rencontre ne serait-il pas plutôt à chercher du côté d’une surabondance ? Pour y répondre, examinons la vie ces deux personnages vers qui s’est tournée notre attention. Depuis qu’ils se sont quittés pour entrer dans la vie monastique, que sont devenus Scholastique et Benoît l’un pour l’autre ? En laissant tout pour le Christ, ils sont en fait devenus membres de la famille de Dieu. Oui, assurément ils sont devenus familiers de Dieu et c’est bien l’amour de Dieu qui anime – au sens propre du terme – leur vie quotidienne, qui habite leur pensée et le jour et la nuit. Les membres de cette famille divine apprennent de Dieu lui-même qu’il faut certes marcher et même courir sur le chemin de Dieu, mais qu’il n’est pas défendu de partager avec d’autres quelques fruits de son intimité avec ce même Dieu. Les saints sont tellement habités par Dieu, tellement sollicités par les avances de Dieu, qu’ils désirent en effet se donner mutuellement « envie » de Dieu.

       Cette rencontre est donc l’histoire d’un partage de séductions divines. Une rencontre entre deux âmes qui s’échangent les élans vécus avec Dieu, élans à la fois reçus dans la contemplation et l’abandon, et à la fois humblement adressés à ce même Dieu. L’un et l’autre se sont laissés conduire dans ce désert dont parle le prophète Osée afin de permettre à Dieu de leur parler au cœur. Et leur cœur ne faisant pas d’obstacle aux largesses divines, ils ont été comblés de la douceur de Dieu, comme le figure cette curiosité inimaginable aux yeux du monde dont parle encore Osée : une vigne en plein désert ! Pour le dire en peu de mots : « ils connaissent désormais Dieu » par le cœur. C’est cela qu’ils viennent se partager chaque année. Et cela déborde tant qu’un jour le temps semble avoir eu raison de ces entretiens. Ce jour-là, Benoît apprendra quelque chose de sa petite sœur. Et cela l’a tellement marqué qu’on peut en trouver des traces bien concrètes dans la Règle qu’il nous a laissée. De quoi s’agit-il ? C’est tout simplement qu’il faut apprendre à composer avec Dieu, avec les hommes, et aussi bien entendu, avec les femmes, à l’image de Dieu lui-même qui compose sans cesse avec chacun d’entre nous.

       Oui, Dieu lui-même en prenant notre chair a choisi de « composer » avec nous afin de venir nous rencontrer. Chaque jour, si nous y sommes attentifs, nous faisons l’expérience que Dieu compose sans cesse avec nous, cherchant par tous les moyens comment nous rejoindre malgré nos refus répétés et parfois même prémédités. Puisse ce bel exemple de partage fraternel et d’adaptation à une situation non prévue et même contrariante, nous guider, avec l’aide de la Vierge-Marie, dans notre vie quotidienne à la rencontre du Christ.

Amen.

+ frère Laurent de Trogoff,
Prieur administrateur

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