Homélie pour le Vendredi Saint, 10 avril 2020

Depuis quelques semaines, le monde entier fait progressivement une expérience singulière. Alors que les limites de l’humanité semblent toujours devoir être repoussées, voici que la mort surgit à la face du monde. Et toutes les prétentions du monde semblent soudain clouées au pilori. Une mort injuste, une mort dans la solitude, une mort par étouffement. C’est bien injustement que des hommes et des femmes sont frappés par un virus malin et traître. C’est dans la solitude que des patients meurent, privés même de la visite de leurs proches, craignant parfois d’être eux-mêmes contaminés. Et l’aboutissement du développement du virus est l’étouffement.

Cette ressemblance avec la mort du Christ sur la Croix est tout à fait mystérieuse. Condamné injustement par les grands-prêtres, abandonné de tous ses disciples, Jésus subit le supplice de la croix qui s’achève par l’asphyxie. Pourtant il y a une différence majeure entre toutes ces morts et celle, unique, de Jésus. La mort brutale de tous ces gens apporte tristesse, colère, désarrois. Seule la mort de Jésus apporte la vie, le salut éternel. Seule la mort de Jésus est rédemptrice de cette humanité, perdue dans ses efforts imbéciles, pour tenter de se hisser à la place de Celui qui est venu lui proposer le salut. En voudra-t-elle enfin ? À force de marcher sur les clous de l’orgueil pour essayer de s’élever, on finit un jour ou l’autre par avoir les mains et les pieds percés. Et cela ne conduit qu’à la désolation et à la souffrance.

Oui, aujourd’hui notre monde se trouve confronté à la vérité de la mort, et il s’aperçoit honteux qu’il ne s’y était jamais préparé. À l’exact opposé se tient un homme qui est né de Dieu, qui est venu dans le monde afin de donner sa vie pour que les hommes n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes (2 Co 5, 15), mais qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Jésus est venu nous dire que la mort est vaincue. Mais tous ces gens le savent-ils seulement ? À penser et dire que Dieu n’existe pas, on finit par le croire, et finalement on se passe de Dieu. « Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13, 4-5), c’est à dire dans l’impréparation absolue. Beaucoup de personnes ont dû vivre ces passages cruciaux de l’évangile, sans même s’en rendre compte peut-être. « Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. Mais Dieu lui dit : « Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12, 19)

Dieu qui n’a pas voulu ce mal pandémique, a permis qu’il arrive, et qu’il se produise pendant ce temps de préparation à Pâques. Le fameux « pic » de l’épidémie est lui aussi curieusement attendu pour Pâques. Aujourd’hui, Jésus qui est la Parole de Dieu, vient nous parler dans nos propres maux ! Il veut nous montrer qu’il est venu prendre sur lui cette lèpre de la mort et de l’égoïsme afin de nous en libérer. Combien faudra-t-il encore de pandémies pour qu’enfin nous levions les yeux vers Celui que nos péchés ont transpercé, et que nous sessions d’opprimer le juste ? « Notre monde manque de Jean-Baptiste » déclara ici-même le cardinal Sarah. Qu’est-ce à dire, sinon une invitation à être des hommes qui osent rappeler au monde qu’il s’égare, que son égarement est total, et qu’il mène à la mort. C’est rappeler au monde « qu’il n’y a de salut en aucun autre [nom que celui de Jésus] ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Puisse l’humanité consentir au salut que Dieu lui a acquis au prix du sang de son Fils unique, Jésus-Christ notre Seigneur et notre Dieu.

+ fr. Laurent de Trogoff, prieur administrateur

Catégories : Homélies