Homélie pour la messe du mercredi des Cendres

Sommes-nous prêts à répondre à l’invitation du prophète Joël ? « Déchirez vos cœurs » a-t-il dit. Joël n’a pas tiré cette parole de son propre fond. Il parle, comme tous les auteurs bibliques, sous l’inspiration de Dieu, de son Esprit. C’est donc une invitation de Dieu qui nous est faite en cet instant. Une invitation sérieuse, vitale, cordiale. Dieu lui-même semble nous dire : « voulez-vous oui ou non déchirer votre cœur ? », aujourd’hui !

Voici quelques jours, l’évangile nous a déjà orienté vers le cœur de l’homme. C’était dimanche dernier où nous entendions l’évangile selon saint Luc « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ».


Aujourd’hui ce n’est pas à une constatation que nous sommes invités à prêter l’oreille, mais à une action décisive. Voulons-nous continuer à vivre tranquillement notre petit vie percluse de compromis plus ou moins autorisés et acquis, ou bien allons-nous laisser le Seigneur nous adresser une parole ? Allons-nous lui laisser le champs libre ? Ce n’est pas à l’extérieur que Dieu nous attend, mais bien à l’intérieur, là où il nous attend toujours.

Et le premier outil que le Seigneur met à notre disposition, c’est le jeûne. Pour beaucoup en occident, ce mot fait souvent peur. La simple idée d’une privation, d’une attente, d’une limitation dans nos désirs nous alarme. Et si jamais il m’arrive ceci ou bien cela ? La perte du contrôle est l’inquiétude la plus omniprésente de l’homme moderne.

Peut-être n’y avez-vous jamais songé, mais figurez-vous que le jeûne a du goût ! Le vide que crée le jeûne de nourriture – puisqu’il s’agit bien de cela ici – produit dans le corps même une sorte de goût, et pas seulement dans le corps puisque cela va jusqu’à l’âme. Il est vraiment important de faire l’expérience de notre liberté devant ces aliments dont nous avons l’habitude de nous repaître sans parfois même avoir faim. Juste parce que c’est l’heure ! Un tel choix nous conduit à cette expérience du goût du jeûne. Le goût de manquer, de ne plus avoir tout de suite. C’est l’occasion de nous retrouver volontairement dans une dépendance libérante et une dépendance qui laisse un certain goût dans la bouche et l’estomac, je le répète.


Jeûner peut produire un changement radicale dans notre vie intérieure. Nous découvrons progressivement une plénitude de liberté. Le jeûne rend plus facile des actions que l’on posait jusque-là avec hésitation et peine. Car un tel jeûne n’est pas une recette de cuisine – c’est bien le cas de le dire ! Il n’est pas une fin en soi, avec ou sans jeu de mots. C’est juste un moyen en vue de quelque chose d’autre, pour quelque chose de plus profond, quelque chose qui trouve enfin une place laissée libre en nous, à cause d’une préoccupation qui s’est évanouie. Le jeûne c’est un peu comme une paire de chaussure pour un pèlerin : elles doivent être bien adaptées au trajet que l’on se propose de faire afin de permettre à l’organisme d’encaisser les aspérités de la route. Et ce jeûne doit nous conduire vers Pâques.

Jeûner consiste donc à faire de la place en nous, jusqu’à notre cœur. Lorsque le cœur se fait plus attentif au silence laissé par le jeûne, la voix du Seigneur peut être entendue plus facilement. Un peu comme notre randonneur arrivé au sommet de la montagne, qui peut contempler l’horizon, et surtout le silence de Dieu, la somptuosité de la création sortie des mains de Dieu. Et au cœur de ce silence une voix peut alors se faire entendre dans un doux murmure, quelque chose comme le son d’une poussière de silence. Et cette voix nous invite : « revenez à moi de tout votre cœur ! »

À cette invitation, du cœur même de l’homme Dieu lui-même fait sourdre une prière dont la justesse exacte monte aussitôt vers Dieu. Voici cette prière : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! »


Travaillons donc à ce jeûne-là. Aimons le jeûne qui permet à Dieu d’ouvrir la porte de nos cœurs et d’y déverser la prière qu’il désire exhausser. Avec le saint Père et à son invitation, nous pouvons offrir ce jeûne pour nos frères d’Ukraine et de Russie. Et avec le pèlerin russe nous pouvons dire à genoux : « Seigneur Jésus Fils du Dieu vivant, prends pitié de nous pécheurs », et sauve notre monde du péril de la guerre, de la haine, de la perdition.


Puisse le Seigneur s’émouvoir en faveur de notre monde, et avoir pitié de ses créatures.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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