Homélie pour le 30e dimanche du temps ordinaire, année A, 29 octobre 2023

Je ne sais pas si vous êtes déjà entrés un jour dans une cathédrale gothique. En parcourant la nef, le regard s’élève tout naturellement vers les hauteurs. Les pierres posées les unes sur les autres forment des piliers qui montent droit vers le ciel. Et ceux-ci sont prolongés par des ogives qui se rejoignent pour former la voûte. Au sommet se trouve une pierre qui tient l’ensemble de l’édifice : la clef de voûte. C’est vers elle que tendent toutes les autres pierres de la construction. C’est d’elle que toutes reçoivent leur cohésion. Elle a été posée la dernière, mais si on la retirait, c’est tout l’édifice qui s’effondrerait. Elle est à la fois l’aboutissement de ces colonnes de pierre et la pièce maîtresse qui donne au tout son ordre et sa structure.

Dans l’ensemble des prescriptions de la Torah, les Juifs contemporains de Jésus cherchaient à mettre de l’ordre, à repérer la structure qui animait la loi du Seigneur. En effet, dans l’Écriture, la tradition rabbinique ne compte pas moins de 613 commandements ! Parmi ces multiples prescriptions, ils voulaient savoir quelle en était la clef de voûte. C’est précisément la question qu’un docteur de la Loi vient poser à Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre :  « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Quel est le précepte vers lequel tendent tous les autres ? Quelle est la parole divine qui unifie toutes les autres en leur donnant ordre et cohésion ?

Jésus répond à son interlocuteur en lui indiquant deux versets de la Torah, qui portent tous les deux sur la charité. Après avoir cité le Deutéronome au sujet de l’amour total que l’homme doit avoir pour le Seigneur son Dieu (Dt 6, 5), il se réfère au Lévitique avec une parole concernant l’amour du prochain (Lv 19, 18). « De ces deux commandements, ajoute Jésus, dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » L’expression « la Loi et les Prophètes » désigne l’ensemble de la révélation de l’Ancien Testament. Jésus indique ainsi que le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain constitue la clef de voûte de toute l’histoire d’alliance que Dieu a tissée patiemment avec les hommes après le péché.

Même si le verbe « aimer » n’apparaît pas dans la première lecture entendue tout à l’heure, c’est bien de cela qu’il s’agit. Quand le Seigneur demande aux fils d’Israël en marche vers la terre promise de ne pas se montrer injuste envers l’immigré, la veuve, l’orphelin ou le pauvre, il les conduit progressivement sur la voie de la charité. De plus, on peut remarquer que les deux commandements cités par Jésus à propos de l’amour de Dieu et du prochain sont tous les deux issus de l’Ancien Testament. Et ils forment une belle synthèse de l’ensemble du Décalogue. En reprenant saint Augustin, le Catéchisme de l’Église catholique enseigne ainsi que « les dix commandements énoncent les requêtes de l’amour de Dieu et du prochain. Les trois premiers se rapportent davantage à l’amour de Dieu, et les sept autres à l’amour du prochain » (CEC 2067). À travers la structure du Décalogue, c’est donc la Torah tout entière qui est tendue en direction du commandement de l’amour.

D’autre part, la charité apparaît nettement comme la pièce maîtresse de toute l’histoire du salut lorsqu’au moment d’entrer dans son mystère pascal, Jésus donne à ses disciples un commandement nouveau : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13, 34). Il ne s’agit plus seulement d’un amour à la mesure humaine : aimer Dieu de tout son cœur, aimer son prochain comme soi-même. La mesure de notre amour est devenue l’amour divin lui-même avec lequel le Fils nous a aimés. Ce commandement nouveau est l’aboutissement vers lequel tendait tout le corpus législatif de l’ancienne Loi. C’est lui également qui accorde leur valeur aux prescriptions de l’Ancien Testament. Car celles-ci n’avaient de sens qu’en vue du sacrifice du Christ sur la croix. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13). En se livrant lui-même, obéissant jusqu’à la mort, pour nous racheter, Jésus nous a donc donné la preuve suprême de son amour pour le Père et pour chacun de nous.

L’Eucharistie est le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur. Tout l’amour qui habitait le cœur de Jésus au moment de sa passion y est donc rendu présent pour nous. C’est pour cela que l’Eucharistie est appelée aussi sacrement de la charité. Dans la communion, il nous sera donné d’accueillir dans notre cœur Jésus lui-même. Nous pourrons alors le laisser aimer en nous Dieu et nos frères. Habités par l’amour divin, nous pourrons ainsi répondre pleinement à notre vocation à partager la vie divine, car Dieu est amour.

+ fr. Jean-Vincent Giraud, abbé

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