Homélie pour la solennité de saint Benoît, 11 juillet 2024

« Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Ces paroles adressées à Jésus par l’apôtre Pierre devraient pouvoir être prononcées par tous les disciples du Christ. Jésus, en effet, l’affirme clairement : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24). Tout au long de l’histoire de l’Église, des hommes ont pris ces paroles au sérieux, et la radicalité de leur sequela Christi nous est donnée en exemple. C’est le cas de saint Benoît, que nous fêtons aujourd’hui. Comme les apôtres, notre bienheureux père a quitté lui aussi pour le nom de Jésus la maison familiale de Nursie, ses frères et sœurs parmi lesquels figurait la jeune Scholastique, ses parents, ou encore la possibilité de fonder lui-même une famille. Tous ces affections légitimes, il les a quittées pour ne s’attacher qu’à Dieu seul en se retirant dans une grotte à Subiaco. Et dans la Règle qu’il nous a laissée, Benoît nous invite à nous appliquer nous aussi à ce double mouvement : quitter et suivre.

Le verbe relinquere, qui signifie quitter, laisser en arrière, apparaît plusieurs fois dans la Règle bénédictine. Mais contrairement à ce qu’on aurait pu penser en entendant l’évangile de ce jour, il ne s’agit pas, sous la plume de Benoît, d’une exhortation à quitter maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou terre. Tout cela, normalement, les moines l’ont déjà laissé derrière eux au moment où ils sont entrés au monastère. La Règle n’emploie pas le verbe relinquere à propos d’éléments extérieurs qui nous relieraient encore à la vie séculière, mais à propos des réalités dont se compose concrètement notre vie monastique, dans les chapitres sur l’obéissance et sur la ponctualité. Dès qu’un ordre est donné par un supérieur, saint Benoît invite les moines à quitter aussitôt ce dont ils s’occupaient et à laisser inachevé ce qu’ils faisaient (RB 5, 7-8). De même, lorsque retentit le signal de l’office divin, la Règle recommande de quitter tout ce que l’on a dans les mains pour se rendre à l’oratoire (RB 43, 1). L’invitation à tout quitter pour le Christ n’est pas seulement l’affaire d’un moment. Nous ne nous en sommes pas débarrassés lorsque nous nous sommes engagés dans l’état de vie qui est le nôtre. L’appel à tout quitter pour Jésus se renouvelle quotidiennement. Chaque jour, nous avons à quitter quelque chose : une tâche à laquelle nous nous attachons, des projets que nous formons, une vision idéale de la vie monastique telle que nous la souhaiterions. Saint Benoît lui-même n’a pas cessé, sa vie durant, de quitter ce qu’il avait entrepris : sa vie érémitique, lorsque les moines de Vicovaro sont venus le chercher ; son monastère de Subiaco, lorsque la jalousie d’un prêtre du voisinage était devenue dangereuse pour les moines ; et jusqu’à son désir de respecter scrupuleusement la Règle, au moment de la visite de sa sœur Scholastique. Tous ces détachements, petits ou grands, ont enraciné Benoît dans sa sequela Christi.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et la Règle nous le rappelle. Nous sommes au monastère pour suivre quelqu’un. Les occurrences du verbe sequi (suivre) nous mettent en garde contre le danger de suivre la volonté de son propre cœur (RB 3, 7-8) ou de suivre ce que l’on juge utile à soi-même (RB 72, 7). En revanche, dans le chapitre sur les instruments des bonnes œuvres, saint Benoît nous exhorte à suivre le Christ (RB 4, 10), ou, dans le prologue, à poursuivre la paix (RB prol., 17), ce qui revient au même puisque, comme l’écrit saint Paul aux Éphésiens, c’est le Christ qui est notre paix (Ep 2, 14). Comme tout disciple, le moine est donc appelé à suivre le Christ. Et où nous conduit-il ? Saint Benoît le révèle dès le prologue de la Règle : si nous nous attachons au Seigneur, c’est pour le suivre jusqu’à la gloire (RB prol., 7). Le père du monachisme occidental le sait bien, lui qui vivait dans une telle proximité avec les réalités célestes, qu’il put contempler dès ici bas le monde entier rassemblé en un seul rayon de lumière d’une clarté resplendissante.

Quitter et suivre. Quitter pour suivre. Ce double mouvement que Benoît nous propose à la suite de saint Pierre et des apôtres correspond aux deux facettes du mystère pascal. En quittant nos attaches terrestres, nous participons à la mort de Jésus pour le suivre aussi dans sa résurrection. Dans l’eucharistie que nous célébrons, nous communions à ce mystère de notre rédemption. C’est ce même corps et ce même sang du Seigneur qui ont fortifié saint Benoît au moment de son trépas, pour lui permettre de quitter définitivement cette vie terrestre et de suivre le Christ dans l’éternelle vie. Il siège maintenant auprès du Seigneur et il intercède pour nous. Demandons-lui de nous venir en aide pour que la grâce reçue dans ce sacrement nous entraîne à tout quitter pour Jésus et à le suivre jusqu’à la gloire. Amen.

+ fr. Jean-Vincent, abbé

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