Homélie pour le jour de Noël, 25 décembre 2023
Is 52, 7-10
He 1, 1-6
Jn 1, 1-18
« Dieu personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » Cette affirmation qui conclut le prologue de saint Jean, frères et sœurs, attire notre attention sur un cadeau bien précis que Dieu nous fait à Noël. Depuis plus de 4000 ans, le Seigneur a établi son alliance avec les hommes. Il s’est fait connaître à Abraham dont il a fait son ami. Il a accompagné Jacob et ses fils dans leurs pérégrinations et il a veillé sur eux. Il a révélé son nom à Moïse au milieu du buisson ardent, il lui a parlé comme un homme parle à son ami. Face à de telles prévenances, le patriarche a désiré voir celui qui s’était lié d’une si grande amitié envers lui. Mais quand il lui a demandé de contempler sa gloire, le Seigneur lui a répondu que nul ne pouvait le voir sans mourir. Comment, en effet, l’étroitesse du regard humain pourrait-elle voir celui que le monde entier ne peut contenir ? Dieu manifestait ainsi à Moïse son absolue transcendance. Alors que tous les peuples alentour se prosternaient devant des idoles inanimées, le Seigneur voulait faire comprendre à Israël qu’il était le seul Dieu vivant et vrai et qu’il n’avait rien à voir avec les statues de pierre, de bois ou d’argent que l’on trouvait dans les temples païens. C’est la raison pour laquelle il interdit à son peuple de se faire de la divinité la moindre image sculptée. « Puisque vous n’avez vu aucune forme, le jour où le Seigneur, à l’Horeb, vous a parlé du milieu du feu, explique le Deutéronome, n’allez pas vous pervertir et vous faire une image sculptée représentant quoi que ce soit. » (Dt, 4, 15-16). Dieu dépasse infiniment toute représentation humaine. Il est bien au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir ou imaginer. Il est inaccessible au regard de l’homme.
Et pourtant, Job l’affirme avec certitude : « De ma chair, je verrai Dieu ». Dans un sermon que nous avons entendu récemment aux vigiles, saint Pierre Chrysologue explique ainsi ce désir ardent de voir Dieu : « Il est impossible que l’amour ne voie pas ce qu’il aime ; voilà pourquoi tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu’ils avaient obtenu, s’ils ne voyaient pas le Seigneur. Voilà pourquoi l’amour qui désire voir Dieu, s’il manque de jugement, a pourtant une piété ardente. » Au plus profond de nous, frères et sœurs, nous éprouvons tous cette aspiration à contempler le Seigneur, si du moins nous avons perçu tant soit peu l’amour dont il nous a gratifiés. L’Ancien Testament témoigne de ce désir qui habite le cœur de l’homme : « C’est ta face, Seigneur, que je cherche, s’écrie le psalmiste, ne me cache pas ta face. » (Ps 26, 9). Ou encore : « Que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ! (Ps 79, 4). Et l’épouse du Cantique : « Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et charmant ton visage. » (Ct 2, 14).
Eh bien, à Noël, le Bien-aimé répond aux appels empressés de son peuple. En Jésus, Dieu nous montre son visage. « Dans le mystère de la Nativité, dit la deuxième préface de Noël, celui qui par nature est invisible s’est rendu visible en notre chair. » Aujourd’hui, l’attente du peuple d’Israël est comblée. La lecture du prophète Isaïe que nous avons entendue l’annonce clairement : « Tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion. »
C’est aussi le témoignage que nous donne l’évangéliste dans son prologue : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. » La gloire de Dieu désigne son poids de divinité, la manifestation de sa puissance, l’éclat de sa sainteté. Le Fils unique qui vient d’apparaître sur la terre est le « rayonnement de la gloire de Dieu », nous dit l’épître aux Hébreux, l’« expression parfaite de son être ». Dans le quatrième évangile, la gloire de Jésus se manifeste dans les signes qu’il accomplit, mais aussi et surtout dans sa passion et sa résurrection, qui représentent la théophanie la plus haute qui soit. Pour saint Jean, la glorification du Fils de l’homme désigne tout à la fois sa mort et sa résurrection, son élévation sur la croix et son élévation à la droite de Dieu. C’est dans le mystère pascal que Dieu se fait pleinement connaître. Le visage divin que Jésus nous donne à contempler est celui d’un Dieu qui vient au secours de l’humanité blessée par le péché, qui prend sur lui les souffrances des hommes, et qui donne sa vie pour nous racheter. Aujourd’hui, dans cette eucharistie, Dieu se rend visible à nos yeux à travers le mémorial de sa passion et de sa résurrection. Sous les espèces du pain et du vin, c’est le divin Rédempteur qui s’offre à nos regards pour que nous n’oubliions jamais l’amour infini dont il nous a aimés. Allons à sa rencontre en rendant grâce, et répondons de tout notre cœur à l’invitation du prophète : « Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! » Oui, « tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » Amen.