Homélie pour la solennité de St Armel, 16 août 2020
Deutéronome 10, 8-9
Éphésiens 6, 10-13.18
Matthieu 19, 27-29
1. « Revêtez l’équipement de combat donné par Dieu, afin de pouvoir tenir contre les manoeuvres du diable » (Eph 6, 11). Telle est la précieuse recommandation adressée aux chrétiens d’Éphèse par l’apôtre Paul, qui précise encore que la lutte est dirigée « contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres… les esprits du mal » (Eph 6, 12). Aujourd’hui les vêtements liturgiques sont blancs, festifs, et non pas verts comme les dimanches dans l’année. Car le 16 août on célèbre saint Armel, patron de la paroisse et de la commune de Plouharnel : cette solennité l’emporte sur le dimanche.
Qui donc est Armel, ce moine du haut Moyen Âge présent dans nos contrées et qui nous invite au combat en vue de la parousie évoquée par l’évangile de Matthieu « lorsque le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire » (Mt 19, 28) ?
À la fin du Ve siècle, quand Patern, sans doute gallo-romain, est élu premier évêque de Vannes vers 467, sa cité épiscopale devient le verrou de la marche de Bretagne, à la limite de deux dominations antagonistes, terrain d’affrontements entres Francs et Bretons. Armel, lui, est un Breton d’outre-Manche, né vers 482 vraisemblablement au pays de Galles ou peut-être en Cornouailles britanniques, plus au sud. Contemporain ou légèrement postérieur à saint Benoît de Nursie (480-547), il fut comme lui un chercheur de Dieu, un veilleur dans la foi. L’un et l’autre furent « toujours tendus vers les réalités du ciel » (ad superna semper intenti), pour reprendre la devise d’un abbé émérite décédé hier dans notre congrégation et tirée de la collecte de la solennité de l’Assomption.
2. Pierre avait dit à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre » (Mt 19, 27). Lors de la grande migration bretonne, qui par vagues successives suivit les invasions franques en Gaule, Armel quitte la Bretagne insulaire déjà romanisée pour jeter la semence de l’évangile en terre d’Armorique, bien avant Gildas le Sage (494-565). Il nous est connu par l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours (538-594). Débarquant sur les côtes du Léon, il vit d’abord en ermite près de Quimper, puis fonde un monastère à Plouarzel en Finistère. Là il guérit, fait jaillir des sources et met en fuite les démons. Sa science, ses vertus et ses miracles le rendent célèbre. Le roi mérovingien Childebert, qui tolère l’autonomie des chefs armoricains et les protège, l’appelle à sa cour pour en faire son conseiller. Il y restera sept ans. Mais son successeur Clotaire Ier, qui veut unifier la Gaule, multiplie les razzias contre les chefs locaux. Armel revient alors dans notre « Petite Bretagne ». La fondation monastique des Boschaux qu’il fait au sud de Rennes prendra plus tard son nom : Moutier Saint-Armel. D’après une ancienne tradition, Armel serait mort, après le milieu du VIe siècle, à Ploërmel (Plebs Artmael), au sud de la forêt de Brocéliande, où il s’était installé pour combattre les survivances du paganisme et l’idolâtrie encore vivace… comme de nos jours ! Sa popularité, qui ne s’est pas démentie jusqu’à notre époque, vient de sa renommée de sainteté et de puissant guérisseur. D’où ce titre de bienfaiteur des corps qui l’a fait choisir, tout au long du moyen âge, comme patron céleste d’aumôneries, de maladreries ou d’hôpitaux, ce qu’il est encore. Nous le prions pour tous les soignants qui se sont dépensés héroïquement ces derniers mois.
Mais la vie d’Armel se passe surtout dans le silence et la solitude car il est fasciné par le mystère, l’absolu de Dieu (Dieu seul suffit, Dieu ou rien) et il n’a rien de plus cher que le Christ. Son existence doit nous appeler à l’intériorité, à la vigilance, à l’écoute de la Parole de Dieu, au combat spirituel pour déjouer le Malin. On représente habituellement Armel en chasuble avec une armure tandis qu’il affronte le dragon, et la légende rapporte que près de Bruz il en vainquit un énorme, qui ravageait le pays et terrorisait les paysans, en lui jetant son étole sur le cou pour le maîtriser et le précipita dans la rivière. Armel est présent au portail sud de la cathédrale de Chartres, sur le pilier des confesseurs. Son culte rayonna sur toute la Bretagne et s’est répandu jusqu’en Angleterre, par exemple à l’abbaye de Westminster et dans la cathédrale de Canterbury, et même aux États-Unis.
3. Quand les satanistes brisent des statues, dévastent des églises, comme il est trop fréquent même en Bretagne, la liberté de croire est en péril. Il nous revient de la revendiquer avec conviction et de « résister quand viendra le jour du malheur » (Eph 6, 13) : en s’appuyant sur la foi de nos pères, en transmettant aux jeunes générations leur sagesse évangélique. À l’heure où le christianisme est sous attaque provenant de tous horizons, et la société en déconstruction avancée et programmée ; à l’heure où le monde propose un nouvel humanisme (européen ou mondial, peu importe) mais un humanisme sans le Christ, retrouver une figure comme celle du bienheureux Armel nous éclaire pour défendre l’homme contre toutes les dérives anthropologiques et la culture de mort.
Dans la première lecture, le Deutéronome assure que le Seigneur « met à part » des personnes pour « se tenir en sa présence, assurer le service divin, et bénir le peuple » (Dt 10, 8), ce qu’avec la grâce les moines essaient de faire modestement. Quand l’humanité malade met Dieu au défi, celui-ci répond par des saints qui vont « puiser leur énergie dans le Seigneur » (Eph 6, 10) : il suscite des prophètes pour temps d’apostasie, des prophètes du combat « contre les manœuvres du diable » (Eph 6, 11), comme saint Armel, afin que ne soit plus profané « le saint nom de Dieu » (Lév 21, 6 ; 22, 2. 32). À lui la gloire
maintenant et pour les siècles des siècles !
frère Francesco Fanucchi +