Homélie pour le 31e dimanche du Temps Ordinaire
Sagesse 11, 22 – 12,22
Thessaloniciens 1, 11 – 2,2
Luc 19, 1-10
« Tu as pitié de tous, Seigneur, et tu ne hais aucune de tes créatures ; tu ne tiens pas compte des péchés des hommes pour leur laisser le temps de la pénitence, et tu leur pardonnes, car tu es le Seigneur notre Dieu. » Le bel Introït de cette messe met en valeur dans son chant tout particulièrement le mot »pénitence », et aussi la suite : »et tu leur pardonnes, car tu es le Seigneur ». Ces paroles du livre de la Sagesse que nous avons entendues dans la première lecture nous livrent bien le message de ce dimanche.
Après avoir présenté le »rien » de l’ensemble de la création comparé à la Majesté créatrice, le Sage professe cependant que ce »rien » est aimé de Dieu ; le Seigneur créateur aime chacune de ses créatures. Et même, devant les péchés des hommes, il ferme les yeux afin de leur laisser le temps de la pénitence. Car par-dessus tout, il veut pardonner à l’homme afin que ce dernier se convertisse, vive, croie en Lui, et soit unis à lui pour toujours.
Notre prière se fait alors reconnaissance et action de grâce pour notre Dieu qui, dans sa toute puissance, agit ainsi envers nous !
Loué soit le Seigneur pour sa puissance ! par elle, il patiente et fait miséricorde ; par elle, il veut nous amener à nous convertir pour nous diviniser ! C’est ainsi qu’il a agi envers la multitude des saints que nous fêterons dans deux jours ; c’est ainsi qu’il agit envers nous afin de nous attirer à lui, si nous finissons par consentir enfin à ses prévenances. Laissons-nous donc attirer par lui ! [[Laissons-le nous prescrire le bon remède pour nous, et collaborons de toutes nos forces à son action en prenant toute notre part à cette médication !]]
Croyons-nous en notre Dieu ? Croyons-nous qu’il agit ainsi pour nous ? Et pas seulement »de très haut », mais par la proximité qu’il a avec sa créature, « l’appelant » (Sg 11,25), lui donnant pour vivre son propre « souffle impérissable » ! Et ce n’est pas tout : il n’y a pas seulement sa proximité de Créateur à l’intime de sa créature, mais encore l’Incarnation du Fils de Dieu, sa présence parmi nous, Dieu avec les hommes, Jésus Emmanuel !
Regardons comment Jésus s’est approché de Zachée.
Jésus traverse la ville de Jéricho. C’est la ville la plus basse du monde, bien au-dessous du niveau de la mer. Jésus vient chercher Zachée jusqu’au plus profondes des profondeurs où s’est mis l’homme. Il traverse Jéricho, c’est à dire qu’il y passe, mais pas pour y rester ; sa direction, c’est Jérusalem. Il vient pour tirer du gouffre tous ceux qui accepteront de le suivre, de prendre sa main, afin d’être conduit jusqu’à la Jérusalem céleste.
Et au plus profond de cette ville, Zachée est chef des publicains. Il travaille à collecter l’impôt pour le compte de l’occupant, se servant allègrement au passage sur le dos de ses compatriotes. A vue humaine, il est irrécupérable ! il est sans espoir !
Mais, surprise de la grâce : en apprenant que Jésus passe par là, il cherche à le voir, à savoir qui est Jésus. Il cherche ! Comme il est petit, il court en avant et grimpe sur un sycomore. Voyez comment sa condition abjecte ne l’empêche pas de manifester sa recherche de Jésus par une vive décision et une non moins vive action.
Et c’est pour se rendre compte, une fois que Jésus s’approche, que c’est en fait Jésus qui le cherche ! « Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : »Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » (Luc 19,5) Jésus vient chercher Zachée, au cœur de sa misère (non pas financière, mais misère de son cœur). Et non pas pour le réprimander, mais pour lui dire qu’il veut venir chez lui, dans sa maison.
Nouvelle surprise, ou au moins chose admirable : Zachée agit « vite », et il reçoit Jésus « avec joie » (v.6). Il aurait pu craindre très fort, hésiter beaucoup, oser tout juste laisser Jésus s’approcher un peu de lui, et avec grande confusion… Non, il accueille Jésus chez lui, vite et AVEC JOIE ! La vue de Jésus, l’expérience du regard de Jésus posé sur lui, et l’appel à l’accueillir chez lui donne une audace merveilleuse à Zachée. Il se fait une grande lumière dans son cœur. La misère accueille avec joie la Miséricorde.
Et une fois chez lui, de nouveau avec une limpidité foudroyante, il annonce quels sont les fruits de conversion qu’il met en place sur le champ : « Voici Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus » (v.8).
La rencontre qu’il fait de Jésus l’illumine, le remplit de joie, et en même temps lui révèle son péché, lui révèle ce qu’il doit changer dans sa vie, lui révèle le chemin de conversion à parcourir. La révélation de son péché n’enlève rien à sa joie devant le Sauveur ; elle le conduit à la »joyeuse pénitence » de celui qui se sait sauvé, qui connaît le chemin qu’il a à parcourir, appuyé sur le bras de son Sauveur. « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison », car Zachée aussi est un fils d’Abraham, appelé comme lui à entrer dans l’Alliance de Dieu avec l’homme croyant. « En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (v.10) Cette finale et tout ce qui précède entre dans le grand mouvement que décrit saint Luc : l’appel de Jésus à celui qui était perdu afin de le sauver ; ainsi, la vocation du publicain Lévi (Luc 5,27), et les trois paraboles de la Miséricorde (Luc 15).
Et nous, aujourd’hui, croiserons-nous le regard que Jésus porte sur nous dans la liturgie ?
Que le Dieu tout-puissant qui nous a créés nous donne sa grâce pour accueillir dans la joie sa présence et son appel ; pour accueillir dans le sacrement de pénitence et de réconciliation son pardon et les fruits de conversion qui en découlent ; pour professer notre foi avec le Credo dans un instant ; pour offrir toute notre vie au Père avec l’offrande du pain et du vin sur l’autel ; pour accueillir Jésus dans son eucharistie qui nous dit « aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans la maison » de ton corps et de ton cœur. Amen.
frère Gabriel Piot +