Homélie pour la solennité de Saint Michel, 29/09/2022

Dans l’évangile selon saint Jean, Jésus ne parle qu’une seule fois des anges. Et c’est justement le passage que nous venons d’entendre. Cette parole de Jésus prend place autour d’un mystérieux échange de regards entre Jésus et Nathanaël. D’après ce que nous dit Jésus il y a plus grand encore que d’être vu et regardé par le Fils de l’homme. Voir les anges au dessus du Fils de l’Homme : quel mirifique spectacle ! Si le regard de Jésus est néanmoins toujours le premier, il est aussi une porte d’entrée dans le royaume de Dieu. Le regard de Jésus est donc une porte par laquelle nous pouvons entrer dans un autre monde, le monde invisible à l’œil humain, un monde peuplé d’anges notamment.

Le monde que Jésus décrit est parcouru d’anges de Dieu qui semblent ne jamais s’arrêter de se courir les uns après les autres et dans tous les sens. Un peu comme ces enfants dans les cours de récréation qui jouent à s’attraper. Le rapprochement avec les enfants n’est du reste pas fortuit puisque Jésus nous dit ailleurs que les anges des petits enfants contemplent sans cesse la face de Dieu. Les anges dont parle Jésus montent et descendent comme les enfants se bousculent un peu pour grimper sur un toboggan et glisser joyeusement dans un tintamarre de cris et de rires, à la différence prêt que les montants du toboggan ne touchent pas le ciel. Mais cela Jésus ne l’a pas dit…

Les anges de la vision dont parle Jésus et qui couronnent le Fils de l’homme, donnent l’impression de s’appuyer sur ce Fils de l’homme afin de reprendre élan pour remonter d’où ils sont descendus, comme ces fourmis qui traversent nos allées à toute vitesse afin de se précipiter dans un trou objet prédéterminé de leur itinéraire et en ressortent presque aussitôt. Ou bien encore comme ces enfants qui jouent pour jouer. Il faut dire que les anges sont très joueurs, et c’est peut-être cela qui les rend proches des enfants. Qui sait ?

Pour Benoît, dans le chapitre sur l’humilité, les anges qui montent et descendent renvoient à une figure de l’Ancien Testament : le patriarche Jacob. Pour lui, les montants du toboggan – il a écrit « échelle », ce qui signifie peut-être que les enfants de l’époque ne jouaient pas encore au toboggan–, sont notre vie et correspondent respectivement à notre âme et à notre corps. L’un et l’autre sont donc pris en quelque sorte entre les ailes angéliques de ces messagers divins, tandis que le Seigneur se tient cette fois au somment de l’échelle.

De cela nous pourrions tirer l’enseignement que nous sommes invités à rejoindre le Fils de l’Homme, entourés d’anges protecteurs tout autant que conducteurs. Mais il ne doit pas nous échapper que la conduite angélique est assez curieuse. En effet l’échelle jacobique a de curieuses propriétés. On y descend en montant tandis qu’on y monte en descendant. Il ne semble pas immédiatement évident que l’apesanteur soit la solution d’une pareille énigme. Et pourtant il s’agit bien de cela. En effet la légèreté de l’humilité donne à celle-ci une facilité merveilleuse de s’élancer vers le Ciel, un peu comme ces ballons que les enfants lâchent et regardent monter bien haut pour leur plus grande joie. Facilité gracieuse de l’humilité qui laisse dépités les anges qui eux, comme chacun le sait, doivent s’aider de leurs ailes pour parcourir le même trajet céleste.

À l’inverse l’orgueil alourdit et engraisse méthodiquement l’âme qui s’est laissée prendre au scintillement des fausses richesses présentées à ses regards par les démons. Les bons anges sont donc là pour nous accompagner toute notre vie. D’un coup d’aile ils produisent une sorte de courant d’air subtile qui augmente l’ascension produite par l’humilité, tandis que d’un autre coup ils tentent comme ils peuvent de nous faire perdre nos orgueilleux kilos, ces kilos qui défient le véritable poids de notre amour (« pondus meus amor meus » écrivait Augustin).

Finalement on peut se demander si l’image de ce défilé angélique au-dessus du Fils de l’Homme décrite par Jésus, ne renvoie pas à cette humanité du Christ par laquelle nous pouvons aller vers notre Père qui lui est figuré au sommet de l’échelle de Jacob. Tout cela sous la conduite enchantée des anges de Dieu, qui sont autant d’habiles ouvriers porteurs à toute heure de la grâce divine. Sans cesse ils mettent devant nos yeux la pensée de Dieu1 afin de nous rendre forts dans le combat, entraînés qu’ils sont par le victorieux archange Michel. Puisse sa victoire définitive sur Satan rayonner puissamment encore aujourd’hui dans nos cœurs et dans nos actions, particulièrement en notre temps !

Amen

1 RB, 7, 10.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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