Homélie pour la solennité de Saint Michel, prononcée en l'abbaye St Michel de Kergonan

Il vous est peut-être déjà arrivé d’entendre des questions d’enfants. Je veux dire des questions sérieuses qui les préoccupent, qui les habitent. Par exemple : « comment le soleil est-il né ? » ; « Qu’y a-t-il après la mort ? » ; « Puisque Dieu est en dehors du temps, il ne s’ennuie pas ? » ; « Qui pousse la mer lorsqu’elle monte sur la plage ? » ; « Pourquoi les mauvais anges ne meurent pas lorsqu’ils sont battus ? ». Ces questions d’enfants rappellent parfois un peu brutalement les adultes à des réalités auxquelles ils ne font plus attention depuis longtemps ; depuis bien trop longtemps. Ces questions habitent aussi parfois des adultes désabusés par des réalités mondaines dont l’insignifiance les a fait fuir. Par exemple, l’incontournable Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.

L’enfant n’est pas le seul à poser des questions fascinantes, voire mêmes importantes. Les noms de bien des personnages bibliques témoignent aussi d’une quête de sens ou bien d’une réponse donnée à une telle quête, selon les circonstances et les époques.

Si l’on remonte encore un peu plus haut, de tels noms apparaissent aussi comme des missions chez les créatures angéliques. Les archanges que nous fêtons ce jour en témoignent. Gabriel nous parle de la force de Dieu. Raphaël exprime la sollicitude de Dieu à nous guérir. Mais comme vous le remarquez, ces noms sont l’expression d’une vérité divine claire et affirmative. Parmi les archanges il en est un qui rejoint les questionnements enfantins que j’évoquais tout à l’heure. Il s’agit de Michel.

L’archange Michel qui nous est bien connu dans la tradition chrétienne et que la bible mentionne souvent dans divers livres, porte en lui-même une question. Une traduction classique a été donnée au nom qu’il porte. Mais aujourd’hui je vous propose de remonter à son nom tel qu’il est dans la langue dans laquelle il a fait son apparition : l’hébreu. Michel se dit en hébreu mi-cha el. Grammaticalement il s’agit d’une phrase nominale, dont le verbe n’est donc pas exprimé. Mot à mot cela donne : « qui-comme-Dieu ? » C’est donc bien une question.

La pensée occidentale rend habituellement cette phrase nominale en y adjoignant le verbe être, ce qui donne : « qui est comme Dieu ? » Toutefois, d’autres possibilités s’offrent au traducteur, qui peut choisir un autre verbe. Par exemple : Qui pense comme Dieu ? Qui aime comme Dieu ? Qui regarde comme Dieu ?

Il est aussi possible d’envisager « mi-cha-el » comme le début d’une phrase interrogative. Par exemple : « Qui comme Dieu, aurait pu créer le monde ? » Bien d’autres « qui comme Dieu » pourraient encore venir grossir cette sorte de litanie michaelienne.

L’archange Michel nous pose donc une question très ouverte. Sa mission intemporelle est de nous inviter à cette prise de conscience de la présence divine. Il nous invite donc à une profession de foi, à une confession théologique. Ce procédé suppose de s’ouvrir aux réalités créées qui nous entourent afin de leur poser cette question, un peu à la manière du livre de la Sagesse. Cette confession est aussi une arme face à tous les mirages que nous présentent les forces maléfiques qui ne savent qu’imposer des réponses toute faites et des jugements sans appel.

Qui comme Dieu nous laisse libre de répondre ? Cette liberté de répondre n’est-elle pas un signe manifeste de la grandeur divine, bien au-delà de toutes les règles limitatives en dehors desquelles nous ne voulons parfois rien entendre, ou rien attendre ? Et si nous choisissions de laisser Dieu nous étonner ? Il faut pour cela entendre la question de Michel sans jamais croire y avoir répondu tout à fait.

Qui comme Dieu aurait pu s’incarner ? La Sainte-Vierge Marie n’a-t-elle pas gardé et médité cette question dans son cœur tout sa vie ? Et puisque Marie est au Ciel corps et âme, cette question ne trouve-t-elle pas encore dans son cœur un écho sans fin, source intarissable d’émerveillement et d’action de grâce ?

La vie de la Vierge-Marie est singulièrement liée au monde angélique ; et puisqu’elle est notre modèle en toute chose, confions-nous à Elle et laissons lui le soin de nous poser les bonnes questions, et celui non moins sanifiant1 de nous aider à écouter les réponses de notre ange gardien.

Amen

1Néologisme à partir de du verbe latin sano, guérir.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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