Homélie pour la messe du 6e dimanche du temps ordinaire
Jr 17, 5-8
1 Co 15, 12.16-20
Lc 6, 17.20-26
Combien y a-t-il de béatitudes ? Vous le savez bien, frères et sœurs, il y en a huit ! On les trouve dans l’évangile de Matthieu, au début du sermon sur la montagne. Elles annoncent le bonheur promis par le Christ à tous les humbles de cœur, qui traversent l’épreuve avec patience. Saint Luc aussi nous les rapporte dans l’évangile que nous venons d’entendre. Pourtant, sur les huit que proposait Matthieu, il n’en retient que quatre. Et par dessus le marché, il y ajoute quatre malédictions, lui qui a la réputation d’être l’évangéliste de la douceur et de la miséricorde ! Avouons-le, nous nous serions volontiers passés de ces quatre malédictions dans la bouche de Jésus. Comment comprendre ces paroles dont la rudesse pourrait nous déconcerter ?
Je vous propose pour cela de nous reporter aux rituels de l’Alliance tels qu’ils sont présentés dans l’Ancien Testament. Dès le début de l’histoire du salut, Dieu a appelé l’homme à vivre en communion avec lui. Et c’est seulement dans cette Alliance avec Dieu que nous pouvons trouver le bonheur auquel nous aspirons tant. Malheureusement, depuis le péché originel, la relation de confiance et d’amour entre Dieu et l’homme a été sérieusement perturbée. Pourtant Dieu n’a pas renoncé à venir à la rencontre des hommes. Il a renouvelé son Alliance avec Noé, avec Abraham, avec Moïse… pour n’en citer que quelques uns. Dans une alliance, les partenaires se lient l’un à l’autre par un pacte, un contrat comportant des droits et des devoirs, qu’ils s’engagent à respecter. Dans l’Alliance avec Dieu, l’homme s’engage à mettre sa foi dans le Seigneur, à marcher dans ses voies. Et Dieu promet à l’homme de le bénir et de lui garder sa fidélité. Dans différents récits de l’Ancien Testament, le renouvellement de l’Alliance entre Dieu et les hommes rappelle à ces derniers les bénédictions qui leur sont promises s’ils demeurent fidèles à cette Alliance. Mais il évoque aussi les malédictions qui les attendent s’ils sont infidèles.
Ainsi, en promettant à Noé de ne plus jamais ravager la terre par les eaux du déluge, Dieu le bénit mais il lui rappelle aussi que celui « qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé » (Gn 9, 6). À Abraham auquel il vient de prescrire la circoncision, Dieu déclare : « L’incirconcis, […] celui-là sera retranché d’entre les siens : il aura rompu mon alliance. » (Gn 17, 14). Quant à Moïse, dans le Deutéronome, après avoir énoncé toutes les prescriptions de la loi du Seigneur, il présente au peuple deux voies opposées : celle de la vie et du bonheur s’il garde les commandements, ou celle de la mort et du malheur s’il s’en écarte pour se prosterner devant d’autres dieux (Dt 30, 15-20). Dans toutes ces malédictions, il ne s’agit nullement de punitions infligées aux coupables par un Dieu offusqué, qui chercherait à se venger. Mais il faut y voir le mode d’emploi de la nature humaine. Quand vous achetez un meuble en pièces détachées, vous commencez par lire la notice pour voir comment le monter correctement. Et si vous faites le contraire de ce qui est indiqué, il ne faudra pas vous étonner si ce meuble vient à s’écrouler. Il en va de même avec la nature humaine qui nous a été donnée. Dieu nous a créés pour vivre en communion avec lui. Et en faisant Alliance avec nous, il nous indique le chemin qui nous mène vers lui. Si nous refusons de marcher dans ses voies, il ne faut pas nous étonner de trouver le malheur plutôt que le bonheur. C’est ce que nous rappelle le prophète Jérémie dans la première lecture : celui « qui met sa foi dans le Seigneur » sera béni malgré les adversités rencontrées. Mais celui dont le « cœur se détourne du Seigneur […] ne verra pas venir le bonheur ».
À travers l’énoncé des bénédictions et des malédictions que nous avons entendues dans l’évangile, Jésus s’inscrit donc dans un contexte d’Alliance. Il est venu pour conclure avec nous une Alliance nouvelle et éternelle. Alliance qu’il a scellée par le sang de sa croix et qui, dans quelques instants, va nous être rendue présente sur l’autel. Cette Alliance, Dieu nous la propose aujourd’hui. Voulons-nous, oui ou non, vivre en communion avec lui ? Voulons-nous, oui ou non, marcher dans les voies qu’il nous indique ? Ce qui est attendu de nous pour avoir part aux bénédictions de la nouvelle Alliance, nous dit l’évangile, c’est d’être pauvre, d’avoir faim, de pleurer, d’être rejeté par le monde à cause du Fils de l’homme. Voilà une perspective bien peu exaltante ! Mais qui est pauvre, sinon Jésus qui s’est dépouillé de sa condition divine pour prendre la condition de serviteur ? Qui est affamé, sinon Jésus qui a faim et soif de notre amour ? Qui verse des larmes, sinon Jésus qui a pleuré sur Jérusalem et sur tous les hommes qui refusent de l’accueillir ? Qui est rejeté par le monde, sinon Jésus qui a été bafoué, flagellé, et crucifié au milieu de deux malfrats ? Ce qui est exigé de nous d’après les clauses de la nouvelle Alliance, c’est donc de revêtir les traits de Jésus Christ. « Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous dit saint Paul dans la deuxième lecture, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. » Ceux qui ont part à sa mort auront part aussi à sa résurrection. Heureux donc ceux qui marchent à la suite du Christ ! Mais quel malheur pour ceux qui prennent le chemin opposé !
Alors, voulons-nous nous vraiment mettre nos pas dans les pas du Christ ? Voulons-nous participer à sa passion pour le suivre dans sa résurrection ? Si vous êtes dans cette église ce matin, frères et sœurs, c’est que vous le voulez ! Alors n’hésitez pas à lui ouvrir tout grand votre cœur au moment où vous le recevrez dans la communion eucharistique. Celle-ci sera le signe qui manifestera aux yeux de tous votre engagement à vivre en communion avec Jésus et à entrer dans son Alliance en choisissant de lui ressembler concrètement dans votre vie quotidienne. En marchant dans cette voie, nous parviendrions au bonheur véritable que Jésus nous a promis. Amen.