Homélie pour le 19e dimanche du temps ordinaire, 9 août 2020

Lectures :  I Rois 19, 9a.11-13a ; Romains 9, 1-5 ; Mathieu 14, 22-33. 

Dans le récit délicieux de la vie de saint Benoît, le pape saint Grégoire le Grand raconte comment son disciple Maur, grâce à son obéissance prompte et sans condition, marcha sur l’eau du lac pour sauver le petit Placide qui y était tombé : il le saisit par les cheveux et revint en courant : « Fait merveilleux et sans exemple depuis l’apôtre Pierre », s’écrit le biographe de Benoît.


C’est en obéissant à la parole du Christ qui lui dit : « Viens ! » que Pierre marche sur les eaux pour aller vers Jésus. Plusieurs fois, saint Paul parle de « l’obéissance de la foi ». Croire, c’est obéir, c’est à dire écouter, et donner sa confiance à celui qui parle. « Va vers le pays que je te montrerai », dit Dieu à Abraham, le père des croyants. Et Jésus fait l’éloge du centurion romain pour sa foi, lorsque celui-ci vient de donner en exemple l’obéissance de son serviteur à qui il dit : « Viens » et il vient, « Fais ceci » et il le fait ! La foi est donc l’écoute attentive et consentante de Dieu en qui on se confie.


Lorsqu’on sort de cette attention naît le doute. Pierre « voyant qu’il y avait du vent » eut peur (de cette peur qui lui a fait prendre Jésus pour un fantôme). Et parce que son regard n’est plus fixé sur Jésus seul, il commence à enfoncer. – Combien de chrétiens engagés dans une voie qui dépasse souvent les forces de la nature, sont entravés dans leur marche en avant, et enfoncent dans la médiocrité. Malgré des œuvres merveilleuses opérées en eux ou à travers eux par le Seigneur, la tiédeur vient s’insérer dans leur fidélité. Le péché n’est-il pas, très souvent, une distraction sur la route ? On se laisse arrêter par les petits à-côtés, on cueille les fleurs des menus plaisirs qui bordent le chemin au lieu de courir au plus vite vers le but.


Alors on perd pied, on perd la foi, dit-on ; l’expression est peut-être mal choisie. On perd l’innocence, la fraîcheur, l’acuité du regard, la générosité ; finalement on perd tout. Car la foi est un engagement qui consiste à se donner soi-même. Selon une étymologie fantaisiste mais très suggestive, le verbe latin credere signifierait cor-dare : croire, c’est donner son cœur. Dans le mariage aussi le conjoint donne à l’autre sa foi. Comment dès lors pourrait-il la perdre ? Du moment qu’elle est donnée, elle ne vous appartient plus. Alors, qu’est-ce qu’on perd ? Rien du tout ; on se reprend, ce qui est tout différent. On s’imagine qu’on perd la foi ; en réalité, on est seulement en train de réintégrer sa peau, parce qu’il est trop difficile de penser comme Dieu, de s’abandonner totalement à lui.


Pierre s’enfonce, mais il ne perd pas pied tout entier : il ne fait pas naufrage dans la joie. Il se met à crier : « Seigneur, sauve-moi ! » Il garde sa confiance dans le Seigneur. Seulement, prompt à se donner, il est prompt aussi à se reprendre. Il croit pouvoir atteindre Jésus par ses propres forces, et il n’a pas compris que la foi est un don de Dieu. Dans sa présomption, il protestera suivre Jésus dans sa Passion, et il le reniera par trois fois.


« Homme de peu de foi », lui reproche Jésus. Simon n’est pas encore devenu Pierre. À Césarée de Philippe, il va confesser, au nom des Douze : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et Jésus, le proclamant bienheureux, lui dira : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». La foi est le roc sur lequel on s’appuie. En hébreu, le verbe qui désigne la foi évoque la solidité, la certitude, la fermeté. « Amen », oui, je crois, il en est bien ainsi. Dieu est mon rocher !


Le même verbe hébreu a un autre sens : être porté dans les bras, comme un enfant tenu par sa mère. Et précisément, Jésus tend la main à Pierre. Je ne trouve pas de meilleure comparaison pour exprimer la foi que cette image de l’enfant qui tient la main de son père : comme il est petit, il ne voit pas le but du voyage, il est enfoncé dans la nuit du chemin, mais il sait que son père, lui, connaît le terme de la route, et il se confie à lui, à cause de sa sagesse, de son expérience, de son autorité.


C’est l’image qu’employait sainte Thérèse de Lisieux : « Jésus m’a prise par la main, et il m’a fait entrer dans un souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où le soleil ne luit pas, et que la pluie ni le vent ne visitent ; un souterrain où je ne vois rien qu’une clarté à demie voilée, la clarté que répandent autour d’eux les yeux baissés de la Face de mon Fiancé ».


L’expérience mystique passe par la nuit : le prophète Élie dévoré par le zèle de Dieu, en vient à être découragé par l’idolâtrie de son temps : et il doit découvrir que la puissance divine n’est pas celle de la violence, mais celle de l’amour miséricordieux : Dieu n’est pas dans l’orage, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans « le murmure d’une brise légère », dans la voix d’un silence ténu (selon l’hébreu), comme il était dans le souffle qui planait sur les eaux de la création.


Pierre aussi a dû faire sa conversion. Dans notre récit, la confession de foi n’a pas lieu au moment où Jésus manifeste sa puissance divine de créateur en marchant sur les eaux, mais au moment où, dans la barque avec les Douze, il se fait un grand calme : « Tu es le Fils de Dieu ».


Tous, nous sommes embarqués sur la mer agitée de ce monde. Jésus semble souvent absent. Et c’est alors que nous devons faire l’expérience de l’obéissance de la foi : nous devons savoir écouter la voix de Jésus, spécialement à travers le successeur de Pierre : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! ».

frère Jean-Gabriel Gelineau +

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