Homélie pour le 22e dimanche du temps ordinaire
« Mon fils, avons-nous entendu dans la première lecture, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. » Ces paroles de Ben Sira le Sage ne sont-elles pas déjà à même de nous faire désirer l’humilité ? Et ce n’est pas tout ! Car non seulement l’humilité est douce aux hommes, mais elle est en faveur auprès de Dieu : « Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. »
Il y a donc déjà plusieurs niveaux de compréhension de l’humilité dans l’Ancien Testament. A rebours de l’esprit du monde et de bien des exemples autour de nous – ou en nous ! – qui nous incitent si facilement et fréquemment à nous imposer face aux autres afin de se faire une place dans la société, les sages de la première alliance nous rappellent avec justesse que l’humilité est déjà un bienfait pour les simples relations humaines, pour des rapports plein de santé, de paix, de douceur aussi. On peut même la considérer comme un élément de la bienséance, voire comme l’artifice d’un certain calcul pour son propre intérêt : « Ne te glorifie pas devant le roi et ne prends pas la place des grands ; car mieux vaut qu’on te dise : »Monte ici ! » que si l’on t’abaisse devant le prince et que tes yeux le voient » (Proverbes 25, 6-7).
Au-delà des bienfaits de l’humilité pour les relations humaines, elle regarde aussi notre juste place devant Dieu et notre juste relation avec Dieu. Le psaume 130 dit : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard hautain. Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. Mets ton espoir, Israël, dans le Seigneur, dès maintenant et à jamais. »
Dans l’Evangile, Jésus enseigne : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. […] Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. »
C’est comme si Jésus disait : puisque tu ne sais pas qui tu es, ou encore puisque tu ne peux pas connaître les reins et les cœurs mais que seul Dieu les connaît, alors considère que tu es un pauvre pécheur ; et même que tu es le dernier des pécheurs ! Le terme d’humilité est de la même racine que humus ; l’homme humble est celui qui se reconnaît comme terre, poussière ; il en vient et il y retournera. Le psaume 145 enseigne : « Ne mettez point votre foi dans les princes, dans un fils de la glaise, il ne peut sauver ! Il rend le souffle, il retourne à sa glaise, en ce jour-là périssent ses pensées. »
Ce matin, à l’office des Vigiles, nous avons entendu un sermon où saint Bernard emploie une image parlante : « Si l’on passe sous une porte dont le linteau est trop bas, on peut se baisser tant qu’on voudra sans rien craindre, mais, si on se redresse, fût-ce la largeur d’un doigt, au-dessus de la hauteur de la porte, on se cognera la tête. Ainsi ne faut-il craindre aucun excès d’humiliation, mais redouter et abhorrer le moindre mouvement de présomption. »
Par-dessus tout cela, il y a encore un motif éminent qui nous pousse à nous mettre à la dernière place : c’est que le Christ lui-même a choisi la dernière place en venant dans le monde. Saint Paul s’exprime ainsi à l’adresse des Philippiens : « n’accordez rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi. […] Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : Lui qui est de condition divine n’a pas revendiqué son droit d’être traité comme l’égal de Dieu mais il s’est dépouillé prenant la condition d’esclave. Devenant semblable aux hommes, […] il s’est humilié, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé. » (Phil. 2, 3-8) Si nous voulons, sur la terre, nous approcher du Christ, c’est en allant à la dernière place que nous pourrons en être proches. Selon les mots célèbres de l’abbé Huvelin – mots qui ont si vivement touchés saint Charles de Foucauld : « Vous avez tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu vous la ravir ». Jésus a dit à ses disciples en montant résolument vers Jérusalem : « Le Fils de l’homme sera en effet livré aux païens, bafoué, outragé, couvert de crachats ; après l’avoir flagellé, ils le tueront et, le troisième jour, il ressuscitera » (Luc 18, 32-33).
Dans notre évangile, Jésus résume ce propos : « En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (v.11). Ce sont les mêmes mots qui concluent la parabole du pharisien et du publicain qui prient au temple : « Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : »Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! » Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » (Luc 18, 13-14)
Avec Marie, prions Celui qui vient se faire tout petit et humble dans l’hostie consacrée de nous conduire sur ce chemin volontaire d’abaissement et d’humilité, afin de pouvoir louer sa miséricorde à jamais : « Mon âme exalte le Seigneur, […] il s’est penché sur l’humilité de sa servante ; […] le Puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son nom, sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ; déployant la force de son bras, il disperse les superbes, il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ; […] il se souvient de sa miséricorde ! » (cf. Luc 1, 46-55)
un amour gratuit des pauvres, à l’image de l’amour de Dieu pour nous…
frère Gabriel Piot +