Homélie pour le 19e dimanche du temps ordinaire 2024

Dans le discours sur le pain de vie, au chapitre 6e de saint Jean, Jésus s’adresse aux juifs : il veut répondre à leur attente d’un Messie qui leur donnerait une manne venant du ciel. Et nous chrétiens, qu’attendons-nous de cet évangile que nous venons d’entendre ? Avons-nous faim du pain que Jésus nous propose ? « Je suis le pain qui descend du ciel ». Par cette parole, Jésus proclame qu’il est la nourriture véritable, celle qui permet à l’homme de monter vers Dieu, de s’élever vers le ciel.

Jésus est descendu du ciel en se faisant homme : le Verbe s’est fait chair ; c’est le mystère de l’incarnation, qui a tant scandalisé les auditeurs du Christ : «  Cet homme-là, n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère ; alors, comment peut-il dire : Je suis descendu du ciel ? »


Ce mouvement de descente se prolonge encore aujourd’hui dans le sacrement de l’Eucharistie : à chaque messe, le prêtre, dans la personne du Christ (comme disent les théologiens) prononce sur l’hostie : « Ceci est mon corps », et le pain est consacré par la descente de l’Esprit Saint qui poursuit son œuvre partout dans le monde.


Mais si Jésus est le pain qui descend du ciel, il est aussi le pain qui monte vers le Père en sacrifice d’agréable odeur, en sacrifice de louange ; l’évangile de ce jour se terminait par ces mots : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ». Pour devenir pain vivant dans l’eucharistie, Jésus devait passer par le sacrifice de sa vie : il l’a dit clairement ailleurs : « Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi ». Élevé sur la croix, Jésus est élevé dans la gloire, et il veut que là où il est, les siens soient avec lui : il tire tous les hommes vers lui et vers son Père. « Personne ne peut venir à moi, dit-il, personne ne peut croire en moi, si mon Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi ».

Le chrétien suit le Christ dans sa montée vers son Père : mais, pour faire cette ascension, il lui faut un secours : le pain des forts, le pain qui restaure, qui réconforte, qui donne la force.


Dans la première lecture nous avons entendu l’histoire du prophète Élie qui fuyait dans le désert la persécution de la reine impie Jézabel ; découragé par la fatigue et le dégoût, il s’endort, essayant, dans son sommeil, d’oublier sa mission d’envoyé de Dieu. Qui donc, dans le chemin de sa vie, n’a connu ces passages à vide où Dieu semble absent, et où la mort semble presque désirable : « Seigneur, c’en est trop ; reprends ma vie ! ». Alors est nécessaire, pour reprendre la route, le pain de vie : Élie mange le pain cuit sur la braise et marche jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.


À la fête de la Transfiguration, nous avons retrouvé Élie, avec Moïse, sur une autre montagne, le Thabor : Jésus apparut à trois de ses disciples transformé dans la gloire ; à cette vision qui comble son attente, Pierre s’écria : « Seigneur ! qu’il nous est bon d’être ici ». Mais les disciples ont dû redescendre de la montagne ; pour eux, la transfiguration était l’annonce de la résurrection, mais à travers la Passion, au-delà du sacrifice de la croix.


Le sacrement de l’eucharistie ne nous offre-t-il pas à nous aussi comme un avant-goût du festin de noces où nous verrons Dieu face à face ? Ce pain de vie nous communique déjà ici-bas cette vie éternelle qui s’épanouira en plénitude dans la patrie céleste : « Qui mange de ce pain vivra éternellement ».


Mais l’eucharistie, qui est un repas, un sacrement, est en même temps un sacrifice, un hommage envers Dieu. Par elle, non seulement Jésus nous communique sa vie divine, mais il nous assimile à lui pour faire de nous une offrande à la gloire du Père. Saint Paul nous a rappelé cette vérité, dans la deuxième lecture, en la lettre adressée aux chrétiens d’Ephèse : « Marchez dans l’amour comme le Christ : il nous a aimés et s’est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire ».


En prenant le corps du Christ, nous devenons le corps du Christ : c’est lui qui nous assimile à lui, et non pas nous qui l’assimilons, comme pour la nourriture corporelle. Dès lors, en prenant ce pain vivant, chacun de nous devient lui-même pain, prêt à être mangé, consumé, par le feu de l’amour divin, de la charité.


C’est ce qui est très bien signifié dans l’admirable récit du martyre d’un évêque du 2e siècle qui a connu l’apôtre saint Jean : cet évêque s’appelait Polycarpe : condamné à être brûlé vif, les flammes du brasier l’enveloppèrent, et alors, selon les termes exacts du récit, « il apparut non comme une chair consumée, mais comme un pain dans sa cuisson », et les témoins ajoutent : « nous en respirions le parfum comme une fumée d’encens ou de quelque autre précieux aromate ». Son martyre l’élevait vers Dieu.

« Je suis le pain qui descend du ciel ». Frères, en ce dimanche, où nous sommes réunis pour recevoir le Corps du Christ, désirons avec ferveur ce pain de vie, sacrement de route dans notre pèlerinage vers la montagne de Dieu, et efforçons-nous de devenir nous-mêmes pain vivant, pain rompu et partagé dans l’amitié et l’amour de nos frères les hommes, et dans l’amour du Père vers qui nous montons en communiant au sacrifice du Christ, lui, le pain de la vie éternelle. Amen.

fr Jean-Gabriel

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