Homélie de Pâques, 12 avril 2020

Aujourd’hui, c’est Pâques ! Le mot pessah en hébreu (qui a donné Pâques en français) vient d’un verbe qui signifie d’abord passer outre, passer au-delà. Cela a fait du passage de la Mer rouge par les Hébreux, une figure de la fête de Pâques : le Christ traverse la mort que figure dans la bible la mer, de même que le peuple hébreu a traversé la Mer rouge, fuyant devant Pharaon. Pourtant ce verbe signifie aussi boiter et finalement sautiller. Ceci ajoute au verbe originel le sens de passer par dessus en sautillant, et donc épargner, et protéger. C’est le sens que véhicule le passage de l’ange exterminateur à travers l’Égypte, lui qui frappa les maisons des égyptiens au contraire des maisons des Hébreux qu’il épargna. Seules les maisons marquées du sang de l’agneau furent protégées. Le sang et l’eau sont donc mêlés dans le salut qui est offert au peuple élu. On retrouve l’ange exterminateur aux jours où David a commis le grave de péché de recenser le peuple. Cette action-là revient à mépriser Dieu qui seul donne la victoire, lui le Victorieux par excellence. Comme pénitence, David choisit la peste qu’un ange exterminateur est alors envoyé répandre sur Jérusalem.

Dans ses deux missions, en Égypte et à Jérusalem, l’action de cet ange semble exprimer la conséquence d’un même fait : refus et ignorance de Dieu conduisent au désastre. Mais cela va encore plus loin. Dans l’un et l’autre cas, le massacre ne cesse qu’à partir du moment où la relation à Dieu est rétablie et manifestée. Dans le cas des Hébreux elle l’est par la marque du sang sur le linteau des portes. Dans le cas de David, c’est son invocation envers Dieu qui permet de stopper l’hécatombe.

Le mystère pascal opère cela de manière non seulement définitive mais merveilleusement amplifiée. Le Fils de Dieu mort et ressuscité ne nous épargne pas seulement, par son sang versé pour nous, il nous lave et nous établit fils dans le Fils. Ce don est une merveille dont on ne mesure habituellement pas le caractère mirifique. En Jésus ressuscité, la relation à Dieu n’est pas provisoirement rétablie, mais scellée définitivement dans la personne même du Christ. Le Christ est fait pont. Un pont qui relie définitivement l’humanité rachetée, à Dieu qui la sauve. De ce salut dépend toutefois le consentement de la créature. Sauvée, promise à une vie éternelle de bonheur en présence de Dieu, la créature doit s’engager, faire un choix. D’aucun pourraient prétendre que c’est tout de même trop facile. Dieu fait tout et il n’y aurait qu’à dire « oui ». Mais que dirait devant ce choix offert, un être humain aux portes de la mort ? Préférerait-il vraiment attendre de mourir plutôt que de consentir à la vie ? La réponse ne va pas de soi, sinon le monde serait déjà sauvé. Non seulement il faut croire qu’il est possible d’être sauvé de la mort, mais encore faut-il savoir que la mort est inéluctable et qu’il n’est pas possible d’y échapper.

L’annonce de la résurrection du Christ n’a pas fait plus de bruit que la résurrection elle-même. Elle s’est propagée d’instant en instant, de jours en jours, de siècles en siècles, jusqu’à ce matin. Et l’homme s’habitue à tout, même à la Résurrection, ce qui est proprement incroyable. Ceci montre bien qu’il ne suffit finalement pas de croire, il faut encore se laisser entraîner, se laisser emporter par le Ressuscité. Tant que cela n’a pas eu lieu, la Résurrection n’a pas encore pu étendre son effet libérateur à tout le corps. Se laisser emporter est une véritable épreuve. Lorsque cela arrive, plus rien dans une vie humaine ne peut vraiment garder sa place. Tout prend une couleur différente, un jour différent. Tout devient coloré de la résurrection, un peu comme une fleur de cerisier éclairée du soleil qui se lève dans la brume matinale. Tel est le bonheur de la résurrection !

Oui, notre Soleil divin s’est relevé d’entre les morts. Consentons donc cette fois-ci enfin à nous laisser emporter dans sa lumière. Amen. Alléluia.

+ fr. Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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