Homélie pour le dimanche 2 mai 2021, 5e dimanche de Pâques

À la Cène, Jésus donne à ses disciples le vin de son sang. Puis il leur dit « Je suis la Vigne » qui produit ce breuvage de vie. « Je suis la vraie Vigne », qui ne déçoit pas l’amour que le Père, le Vigneron, lui prodiguait. « Je suis la Vigne, et vous êtes les sarments ». « Celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit ». Les mots « demeurer » et « fruit » reviennent jusqu’à 7 fois, chiffre de la totalité et de la perfection.

« Demeurez en moi » : le lien avec Jésus est essentiel pour le chrétien. Une nouvelle alliance est inaugurée par le Seigneur., avec cette révélation stupéfiante : « Demeurez dans mon amour ». C’est le secret de son cœur.

La communion du sarment avec le cep ne peut se faire que par une sève unique. Le même Esprit, qui est l’unité du Fils et du Père, circule entre tous les fidèles ; le même courant vital, le même amour qui relie le Fils au Père unit le chrétien à Jésus.

Le baptisé, comme le sarment uni au cep, reçoit sa vie du Christ. L’importance de cette union à Jésus est mise en relief par le sort réservé aux sarments secs, qui sont coupés du cep : « on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent ». Ils sont morts, car ils ne reçoivent plus la sève capable de leur faire produire du fruit. « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire ». Vous faites du rien, interprète saint Augustin.

« Demeurer en lui », c’est la définition même du fidèle : être en union vitale, mutuelle, indéfectible avec lui implique à la fois réciprocité et durée : il participe à sa vie. « Ce n’est plus moi qui vis, dit saint Paul, c’est le Christ qui vit en moi ». Une telle symbiose, une telle synergie, ne s’explique que parce qu’à la source de l’œuvre commune il y a un seul être entre le chrétien et le Christ, un seul Corps, tête et membres, dit saint Paul. La 1re lecture lui attribue l’extension de l’Église. Saint Paul utilise aussi une image végétale comme saint Jean : « Si c’est une même plante avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons par une résurrection semblable » (Rm 6,5). Les traductions parlent d’« un même être », parce que, ressuscités en Christ, qui est tout en tous, nous sommes assimilés à lui, con-ressuscités avec lui.

Remarquez la réciprocité de cette inhabitation : « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit ». Dans la 2e lecture, saint Jean le répète : « Celui qui est fidèle à mes commandements demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui, et nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné son Esprit ».

« Demeurez en moi, c’est le Verbe de Dieu qui donne cet ordre, qui exprime cette volonté », s’écrie sainte Élisabeth de la Trinité. « Demeurez en moi, non pas pour quelques instants, quelques heures qui doivent passer, mais « demeurez » d’une façon permanente, habituelle. Demeurez en moi, priez en moi, adorez en moi, aimez en moi, souffrez en moi, travaillez, agissez en moi ». C’est la grâce que Dieu donne.


« Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron… tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie pour qu’il en donne davantage ».

Pour porter du fruit en abondance, la vigne est émondée par le vigneron en toute saison :

– en hiver, c’est la taille : tous les sarments sont coupés, sauf la baguette qui portera le fruit de l’année, et deux chicots qui prépareront le fruit de l’année suivante ;

– au printemps, l’effeuillage consiste à casser les pousses qui bourgeonnent sur le tronc et tirent à elle le suc au lieu d’en fait profiter les bonnes tiges ;

– en été, l’épointage est l’opération qui supprime les pointes d’une végétation qui s’en va en tous les sens, pour converser à la vigne sa belle forme, et exposer le raisin au rayonnement du soleil pour le faire dorer ;

– en automne enfin, c’est la vendange : lorsque le raisin atteint sa maturité, le feuillage se flétrit de lui-même et la vigne semble mourir, aussi bien que le grain de blé tombé en terre meurt pour porter du fruit en abondance.

Ce travail opéré dans la vigne ne figure-t-il pas la purification continuelle effectuée dans nos âmes par la parole de Dieu ? Le Père, tel le vigneron, tranche notre égoïsme, nous défait de ce qui gêne la montée de la sève divine en nous ; il demande parfois le sacrifice de dons naturels qui s’exerçaient avec une luxuriance prometteuse, le détachement de certaines affections et des biens de la terre, bons en soi, mais, comme le feuillage, trompeurs et vains s’ils ne sont pas ordonnés au fruit.

Par la taille des appuis naturels, le vigneron divin enracine en nous la charité. Le vigneron qu’était mon père avait mis dans son caveau un cep de vigne dont les racines, d’une longueur vraiment étonnante, couraient tout le long des murs voûtés où est rangé le vin en bouteilles. L’émondage de la vigne produit donc un enracinement invisible. N’est-ce pas dans la foi qu’il faut vivre pour porter du fruit ? Ne faut-il pas croire que Dieu peut féconder une vie qui semble naturellement stérile ; croire que le fruit qui glorifie Dieu n’est pas directement de l’ordre de l’efficacité temporelle ; croire que la Vigne a une capacité de vie infinie dans le peu de capacité de notre nature humaine ?


Le brin de sarment laissé lors de la taille par le vigneron peut produire du fruit en abondance : réalité saisissante pour faire prendre conscience de la volonté de Dieu qui fait fructifier l’arbre de la croix. Dans l’abside de la basilique saint Clément de Rome, la splendide mosaïque qui figure la croix du Christ devient une vigne dont les volutes embrassent les hommes de toute condition, et même la création entière, renouvelée.


 

« Ô Père, qui montres ton amour pour ta vigne

en appelant, choisissant, cultivant tes rameaux ;

même lorsque tu les tailles de ta main par les épreuves de cette vie,

insère-nous toujours davantage dans le Christ,

le Cep auquel demeurent unis tes sarments

et sans lequel ils ne peuvent rien faire ;

mais que la sève de l’Esprit d’Amour leur fasse produire du fruit en abondance,

dans le monde, pour ta Gloire ». Amen.

frère Jean-Gabriel Gelineau

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