Homélie pour la solennité de la Sainte Trinité 2022

Le mystère de la Sainte Trinité est au cœur de la vie chrétienne. Le baptême est administré « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». L’Eucharistie fait vivre de cet amour trinitaire que Jésus nous a révélé dans le discours après la Cène. Il avait dit à ses apôtres : « Je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Or maintenant il déclare : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ». En fait, Jésus a bien transmis à ses disciples tout ce qu’il a entendu auprès du Père, mais les disciples sont loin d’avoir « réalisé » toute la révélation de Jésus. Ils n’étaient pas capables de la porter (le verbe utilisé aussi pour porter la croix). Pour comprendre le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, ils auront besoin de l’Esprit après son départ : « Lorsqu’il sera venu, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière ». Au temps de sa vie terrestre, Jésus oppose la période de la venue de l’Esprit, c’est-à-dire de sa présence dans le temps de l’Église, depuis Pâques jusqu’à la Parousie.

Jésus nous suggère que l’Esprit doit nous faire pénétrer jusqu’au cœur même de la vérité qu’est Jésus en personne. Cette promesse est expliquée, dans notre évangile, par trois mouvements, terminés chacun par la même formule : « il vous le fera connaître », et mettant l’accent, le premier, sur l’Esprit, le deuxième, sur le Christ, le troisième, sur le Père.


L’Esprit « ne parlera pas de son propre chef, mais tout ce qu’il entendra, il le parlera ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître ».

Le rôle de l’Esprit est de rappeler aux croyants tout ce que Jésus leur a dit (14,26), pour leur en faire pénétrer le sens et rendre vivante et vivifiante, dans leur cœur et dans leur vie, cette parole de Jésus. Durant sa vie terrestre, Jésus parlait en figures, désormais, durant le temps de l’Église, il parle en toute clarté, par l’action de l’Esprit (16,25). C’est toujours la même parole, la même révélation que Jésus continue de donner, mais d’une manière nouvelle, intérieure et spirituelle, puisqu’il la donne par l’Esprit.

Ce qu’il fait connaître, ce n’est pas une révélation nouvelle, mais l’interprétation d’une révélation déjà apportée. Chez les disciples, l’onction de l’Esprit entraîne un progrès dans la vérité de Jésus, et ce progrès ne se fait pas par un accroissement quantitatif de vérités mais par une nouvelle illumination du message originel (intelligentia luminosa, dit saint Augustin). L’Esprit est amour, et s’il est l’Esprit de la vérité, c’est qu’il rappelle la vérité sous un mode affectif. Bien que, pour désigner son exégèse on utilise des mots tels que enseigner, introduire, attester, traduire, lui-même n’opère pas tout cela par des paroles – cela sied au Verbe – mais par la médiation de l’intuition qui accompagne l’amour, par son onction (1 Jn 2,27), qui confère une gnose que nulle instruction verbale ne pourra jamais communiquer.


Le Christ est glorifié par l’Esprit : « Il me glorifiera, car il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ».

Jésus, le Fils de Dieu, avait manifesté sa gloire par des signes ; mais les disciples n’ont bien compris l’origine divine et la fécondité de sa mission qu’après Pâques, à la lumière de l’Esprit. Celui-ci glorifie Jésus en dévoilant la plénitude du mystère de sa filiation divine ; et il glorifie aussi Jésus en donnant aux croyants de vivre pleinement leur vie d’enfants de Dieu.

L’Esprit glorifie Jésus en faisant connaître tout ce qui lui est propre : l’origine divine de sa mission, la fécondité de son œuvre, le secret de sa personne de Fils de Dieu. Glorifier le Christ, c’est aussi, pour l’Esprit, donner aux croyants de porter ce fruit de la foi qu’est l’unité dans la charité.


Le Père est la source : « Tout ce qui appartient au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : Il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ».

Jésus a révélé pleinement sa relation au Père : « Qui me voit, voit le Père » (14,9). « Nul n’a jamais vu Dieu, mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître » (1,18) ; il est son exégète parfait et pleinement adéquat. Or l’Esprit lui-même est l’exégète du Fils : « C’est de mon bien qu’il recevra, et il vous le dévoilera ». Il vous enseignera tout. De même que la dépendance du Fils à l’égard du Père dans son enseignement et ses œuvres s’explique en dernière analyse par la procession éternelle du Fils, de même l’Esprit dans sa mission n’est si étroitement dépendant du Fils que parce qu’il est l’Esprit du Fils, parce qu’il procède de lui. Ce texte de saint Jean est un des plus révélateurs de la vie divine au sein de la Trinité.

« Père, tu es en moi et moi en toi… Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (17,22), ce qu’il a fait en leur donnant son Esprit de gloire. Saint Paul affirme : « Nous tous, convertis au Seigneur, nous reflétons comme en un miroir, la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, de gloire en gloire, selon l’action du Seigneur qui est esprit » (2 Co 3,18).

Dans la deuxième lecture, saint Paul écrit aux Romains : « Notre fierté à nous, c’est d’espérer avoir part à la gloire de Dieu ». La vie de la grâce est menacée tant que dure le temps de l’épreuve sur terre, mais l’espérance ne déçoit pas, car elle s’appuie sur « l’amour de Dieu, répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ». Comme le sang circule du cœur jusqu’à la dernière cellule du corps, ainsi l’Esprit Saint agit sur tout notre être. Mais il dépend de nous, de notre accueil, que l’Esprit Saint divinise à sa manière notre intelligence, notre volonté, nos sentiments, notre affection, notre corps même, comme il le fit pour Jésus-Christ notre divin modèle. Il suffit de se laisser mouvoir par l’Esprit. Ceux qui sont agis par l’Esprit, ceux-là sont fils de Dieu. « L’Esprit par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l’Église et par l’Église dans le monde, introduit les croyants dans la vérité tout entière et fait que réside abondamment en eux la parole du Christ » (Dei Verbum c.2 n.8).

Dans la première lecture, la Sagesse, qui préexiste à la création, intervient aussi dans l’histoire des hommes. Elle vient « jouer sur la terre, trouver ses délices avec les fils des hommes ». La liturgie n’introduit-elle pas dans la danse où l’amour entre en jeu pour offrir au Père, par son Fils, dans l’Esprit, tout honneur et toute gloire ? Après chaque psaume, saint Benoît demande de réciter le « Gloire au Père, au Fils et à l’Esprit Saint », en s’inclinant profondément pour l’honneur et le respect de la Sainte Trinité. Cette doxologie marque le sommet de la profession monastique, mais en réalité c’est toute la vie qui est sous le signe de la gloire de Dieu, « afin qu’en toutes choses Dieu soit glorifié », selon la devise que saint Benoît emprunte à saint Pierre pour l’appliquer aux artisans du monastère, comme si tous les ustensiles devaient être considérés comme des vases sacrés de l’autel, et que les plus petites tâches matérielles pouvaient devenir une vivante offrande, dans l’Esprit, par le Fils, à la louange de gloire du Père.

frère Jean-Gabriel +

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