Homélie pour la solennité de la Toussaint 1er novembre 2019

Fr. Laurent de Trogoff, Pr. Adm. Sae Annae

« Heureux les pauvres de cœur, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, heureux ceux qui sont persécutés pour la justice ; heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous ». Comme slogan publicitaire pour inviter à la joie parfaite, il faut bien reconnaître que la lecture de ces béatitudes peut sérieusement nous laisser sur notre faim ! D’aucun ajoutent a celles-ci une autre béatitude qui n’est pas mentionnée par Jésus : « Heureux les fêlés, ils laisseront passer la lumière » [1]. Et même si l’on ajoute cette béatitude quelque peu apocryphe, tout ça n’est pas immédiatement très enthousiasmant.

Quelle audace de la part de Jésus ! Ou bien faudrait-il dire : quelle moquerie de la part du Fils de Dieu ? Cela paraît tellement plus simple d’expliquer à ceux qui peinent chaque jour, qui ont tout perdu ou presque tout, qu’ils ont bien de la chance ! Car c’est bien ce qui est bouleversant dans cet évangile : oser juxtaposer deux réalités qui, dans une perspective horizontale, sont parfaitement irréconciliables. D’un côté l’accomplissement d’une série d’échecs terrestres, et de l’autre la réalisation absolue d’une plénitude sans borne. Jésus ne pouvait pas ignorer le scandale que sa parole provoquerait. Mais Jésus n’a jamais dit que la route serait facile. Et sur ce chemin, il est sans doute le seul à ne nous avoir jamais menti ! 

Le monde au contraire, nous explique que si nous rencontrons une difficulté, c’est certainement que nous nous sommes trompés quelque part. Les grands de ce monde nous certifient sur leur honneur que toute chose est à notre service en sorte que chacun puisse assouvir toutes ses envies. Mieux encore : le monde nous assure qu’il ôtera de notre conscience tout ce qui pourrait se mettre en travers de nos élans, fussent des réalités naturelles, constatées depuis les origines, comme la paternité et la maternité. Pour seul salaire de ses opérations fallacieuses, ce même monde ne nous demande presque rien : juste nous croire chacun le centre du monde, sans dieu ni loi, sinon celle de notre orgueil. 

Que ce soit du côté des béatitudes, ou bien du côté des promesses du monde, nous retrouvons un désire d’absolu et une espérance de plénitude sans fin. La différence entre les deux n’est pas l’homme, car dans l’une et l’autre proposition l’homme est au centre ! Ce qui les différencie est d’une part la manière dont l’homme se comporte vis à vis de son semblable, et d’autre part l’origine à partir de laquelle l’homme se reçoit. La différence ne saute pas immédiatement aux yeux, car chaque attitude prétend servir l’intérêt de l’homme ! Il faut donc creuser un peu plus profond pour mettre en lumière ce qui différencie radicalement ces deux attitudes.

Jésus met en valeur le renoncement à une satisfaction même légitime, mais qui conduirait à s’imposer aux autres, et cela en vue d’un bonheur non pas temporel, mais éternel. Jésus béatifie ceux qui sont amenés à se sacrifier par amour pour leurs semblables créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. L’origine de cet amour est Dieu. 

Le monde, lui, propose à tout homme de sacrifier tout ce qu’il veut en vue de l’amour absolu de son propre bien temporel. L’origine de cet homme est lui-même : il se croit dieu.

Un bénédictin du 19e siècle, écrivait ces quelques lignes au sujet de la fête de ce jour : « Préparons-nous, comme notre Mère l’Église, à l’ineffable destinée que nous réserve l’amour. C’est à ce but que tendent les labeurs d’ici-bas. Travaux, luttes, souffrances pour Dieu, relèvent d’inestimables joyaux le vêtement de la grâce qui fait les élus. Bienheureux ceux qui pleurent (Mt 5, 5) ! » [2]

L’amour : y a-t-il jamais rien eu d’autre d’intéressant ? Telle est bien la clé de cette sainteté que nous célébrons en ce jour merveilleux. C’est aujourd’hui la seule activité des saints, pour l’éternité ! Justement au sujet de cet amour, Paul nous dit qu’il ne passera jamais [3]. Cela signifie notamment que tout acte d’amour devient indélébile, puisqu’il vient de Dieu et traverse en l’entraînant celui qui le pose. Et c’est bien parce qu’ils ont aimé d’un amour surnaturel que tous les saints qui peuplent les Cieux connaissent le bonheur qui ne passe pas. Choisissons donc nous aussi notre camp ! Ne perdons pas un instant pour recevoir de Dieu l’amour, face à toute forme d’adversité. 

Cet amour existe déjà ici bas : l’avons-nous remarqué ? 

Quel amour de la part d’une maman – ou d’un papa –, qui se lève la nuit non pas une fois mais deux ou trois, pour aller consoler son bébé qui pleure alors qu’elle devra subir toute la journée son manque de repos lorsqu’elle sera au travail. 

Quel amour ! « Bienheureuse es tu », lui dit Jésus ! 

Quel amour de la part de celui qui se lève dans la nuit de cette vie pour accueillir l’ami importun. Bienheureux est-il ! 

Quel amour de la part de celui qui renonce à finir son ouvrage pour venir en aide à son prochain. Bienheureux est-il ! Bienheureux celui qui aime, l’Esprit Saint est son hôte !

Bienheureux les missionnaires qui annoncent l’évangile, et dont vous êtes peut-être, ou que vous pouvez devenir…

La sainteté est à notre porte et elle frappe chaque jour et même plusieurs fois par jour. Osons lui répondre, et nous la découvrirons qui nous ouvre grand ses bras dès ici bas.

« Saint et bienheureux Jésus-Christ, toi qui est notre sainteté, attire-nous à toi comme tu as attiré Celle dont tu as pris la chair ». 

Amen

Fr. Laurent de Trogoff, Pr. Adm. Sae Annae

  • [1] Citation de Michel Audiard.
  • [2] DOM GUÉRANGER, Année liturgique, la Toussaint, en l’introduction.
  • [3] 1 Corinthiens 13, 8.
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