Homélie pour la solennité de la Pentecôte 2020

La scène se déroule au soir de la Résurrection, le premier jour de la semaine, précise l’évangéliste saint Jean. Il convient de nous rappeler que plusieurs mystères de notre foi se sont déroulés en quelques heures. C’est exactement l’espace qu’il a fallu à Dieu pour relever son Fils d’entre les morts et lui donner de souffler l’Esprit sur ses apôtres : juste quelques heures.

Si l’on reprend cet épisode dans son contexte, il est vraiment très étonnant. Saint Jean choisit comme point d’ancrage la mort de Jésus. Alors que tout semble fini aux yeux des hommes qui ont été choisis par Jésus, qui l’ont suivi, ont reçu son enseignement, et l’ont finalement accompagné, presque jusqu’au bout – c’est alors – que Jésus vient souffler sur eux l’Esprit Saint. Tels sont les faits. Humainement nous aurions peut-être vu les choses autrement…


Tout d’abord, en abordant les disciples, Jésus aurait peut-être pu leur dire : « Au fait, vendredi, vous étiez où ? » En effet, plusieurs évangélistes affirment que tous l’abandonnèrent. Or nous n’entendons aucun reproche dans la bouche de Jésus, qui, tout au contraire, offre à ses disciples peureux et timorés, la paix, sa paix ! C’est donc au moment où ils sont humainement dans l’impossibilité de prétendre à quoique ce soit, que Dieu choisit de souffler l’Esprit. Il est bon de nous souvenir de ce fait, au regard de notre propre vie, de nos situations personnelles et sans doute aussi au regard de l’état de notre monde.

Mais alors nous pouvons relever une deuxième curiosité. Dieu n’aurait-il pas mieux fait d’envoyer l’Esprit Saint « un peu plus tôt » ? Les disciples auraient peut-être compris à temps, et les aventures de ses apôtres se seraient achevées si l’on peut dire par une happy end comme on les aime. C’est possible, en effet. Mais si l’on y réfléchit bien, rien de ce qui est écrit dans les livres saints ne se serait produit. Surtout pas le salut de l’humanité toute entière. Et finalement à remonter des effets vers les causes, c’est au premier péché que ce procédé nous conduirait. Alors « oui » Dieu aurait pu, mais quelle place aurait la liberté humaine dans tout cela – liberté qui est bien plus chère aux yeux de Dieu qu’à tous ceux qui prétendent y conduire les autres ?


La première lecture nous apporte à son tour un enseignement complémentaire. Les Actes des Apôtres décrivent la première deuxième vague de cette venue de l’Esprit-Saint. Depuis lors, cette vague spirituelle ne cesse de toucher les rivages successifs de nos âmes, dans une sorte d’écho qui n’en finit plus, à l’image de l’océan dont les vagues se renvoient l’une à l’autre la même vitalité. À l’inverse de la création cependant, l’Esprit ne faiblit jamais ni ne s’essouffle. En revanche, selon la foi des cœurs dans lesquels Il est reçu, Il peut produire plus ou moins de fruits dans un temps plus ou moins étendu. Gardons bien à l’esprit – c’est le cas de le dire – que Dieu ne renonce jamais à nous donner son Esprit Saint en particulier lorsque nous le lui demandons. La maturation de cet Esprit en nos cœurs demeure parfois mystérieuse, infiniment respectueux qu’est l’Esprit de notre liberté. Cette année, Dieu a permis qu’une longue préparation soit imposée aux fidèles catholiques, comme vous le savez. Peut-être a-t-Il voulu préparer nos cœurs à recevoir une mesure d’Esprit Saint non pas différente mais qui pourra donner davantage de fruits parce que l’espace creusé en nos cœurs trouvera une plus grande docilité à son action. L’avenir dira ce qu’il en sera.


Les fruits de l’Esprit sont détaillés dans l’épître de saint Paul aux Galates. « (…) amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi ». Et il ajoute : « En ces domaines, la Loi n’intervient pas ». Les fruits de l’Esprit sont très liés au salut que le Christ nous a acquis dans sa Passion et sa Résurrection, et que caractérise la vraie liberté. C’est en effet déjà de son cœur transpercé à la Croix que sourd l’eau de l’Esprit, de même que de sa bouche il livra l’esprit (selon le texte latin). Ces fruits disent chacun à leur manière le poids de liberté qui les anime ! Rien de légal là dedans.


Nous pouvons contempler chacun de ces fruits en une créature libre entre toute : la Vierge-Marie. Elle fut non pas visitée par l’Esprit-Saint, mais habitée par Celui-ci. Parfaitement docile à l’Esprit Saint par un choix libre, Marie demeure hors de toute inquiétude au fond de son âme. Pour Elle, rien n’est plus « sous contrôle », mais au contraire, tout est vécu dans la liberté des enfants de Dieu et la vérité. Que de cette Pentecôte 2020, Marie notre Mère soit pour nous le modèle et la prévenante accompagnatrice afin de nous rendre en vérité et liberté totalement docile à l’Esprit Saint qui vient spécialement nous visiter en ce jour. Puissions-nous offrir à ce très saint Esprit l’hospitalité absolue d’un cœur sans inquiétude. Amen. Alléluia !

frère Laurent de Trogoff +, prieur administrateur

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