Homélie pour le 3e dimanche de l'Avent 2021

Gaudete, chante l’Introït, « Soyez dans la joie, je le répète soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche ».

            La raison de notre joie est l’approche de Noël, comme le souligne l’oraison de ce dimanche : « Tu le vois Seigneur ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau ». Or « le motif de notre restauration n’est rien d’autre que la miséricorde de Dieu » affirme saint Léon. « Le visage de la miséricorde du Père, c’est Jésus », dit le pape François dans la bulle d’indiction. Dieu a envoyé son Fils, né de la Vierge Marie, pour nous révéler son amour. « Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité, de paix ».

            Dans la première lecture, le prophète Sophonie invite Jérusalem à pousser des cris de joie, car « le Seigneur est en toi… Le Seigneur ton Dieu est en toi… Ne crains pas… Il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie ». « La miséricorde, écrit le pape François, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre… La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché » (Misericordiae vultus, n.2).

            À son tour, saint Paul, dans la deuxième lecture, ordonne de se réjouir : la joie est une obligation, qui découle de la présence de Dieu. Dieu est en toi, dit le prophète, réjouis-toi en Dieu, dit l’Apôtre. « Dieu étant en nous, et Dieu étant heureux, la joie doit être au cœur même de notre vie chrétienne » (Dom Delatte). Aussi, l’Apôtre prescrit : « Ne soyez inquiets de rien ». S’inquiéter c’est se donner bien de l’importance ! disait ma grand-mère. L’inquiétude renferme sur soi-même, elle est un manque de confiance en Dieu. Comme saint Paul, saint Pierre recommande : « De toute inquiétude déchargez-vous sur le Seigneur, car il a soin de vous » (I P 5,5-7). Alors même que la vie est semée de difficultés, d’obstacles, d’épreuves douloureuses, le chrétien demeure uni au Seigneur. Et la joie est la rose qui ne fleurit que sur l’arbre de la croix.  Jésus ne promet-il pas la joie quand il annonce à ses disciples l’épreuve de la Passion ? « Maintenant vous êtes tristes, mais je vous reverrai et votre cœur se réjouira, et votre joie, nul ne pourra vous la ravir » (Jn 16,22). Après l’amour, la joie est le premier fruit de l’Esprit, la cause, la condition de la charité. « Que votre sérénité soit connue de tous », ajoute saint Paul. La joie est contagieuse, elle rayonne autour d’elle, elle attire. Elle procure une paix communicative. Ainsi le chrétien témoigne plus par ce qu’il est que par ce qu’il dit ou ce qu’il fait. « Et la paix de Dieu gardera votre cœur » dans cette clôture divine d’où nous ne sortirons jamais car nous y sommes avec Dieu.

            Dans l’Évangile, les foules sont attirées par Jean, l’ami de l’Époux, qui se réjouit à la voix de l’Époux. Voilà sa joie, et elle est parfaite. Mais cette joie est le fruit d’une conversion ; aussi ceux qui viennent se faire baptiser par Jean lui demandent : « Que devons-nous faire ? » et Jean demande d’abord de partager le vêtement, la nourriture, c’est à dire d’accomplir ces œuvres de miséricorde que le pape François rappelle : « Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts » (n.15).

            Mais ensuite c’est la justice que Jean demande aux collecteurs d’impôts : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé », et aux soldats : « Contentez-vous de votre solde ». Le pape examine « le rapport entre justice et miséricorde. Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. La justice est un concept fondamental pour la société civile, quand la référence normale est l’ordre juridique à travers lequel la loi s’applique. La justice veut que chacun reçoive ce qui lui est dû. Il est fait référence de nombreuses fois dans la Bible à la justice divine et à Dieu comme juge. On entend par là l’observance intégrale de la Loi et le comportement de tout bon Israélite conformément aux commandements de Dieu. Cette vision est cependant souvent tombée dans le légalisme, déformant ainsi le sens originel et obscurcissant le sens profond de la justice. Pour dépasser cette perspective légaliste, il faut se rappeler que dans l’Écriture, la justice est essentiellement conçue comme un abandon confiant à la volonté de Dieu… L’évocation que fait Jésus du prophète Osée – « Je veux la fidélité, non le sacrifice » (6, 6) – est très significative… La miséricorde se révèle une nouvelle fois comme une dimension fondamentale de la mission de Jésus » (n.20). 

            La mission de Jean est d’être le précurseur du Messie. C’est un plus puissant que lui qui viendra juger par le feu qui condamne ou l’Esprit qui sanctifie et embrase le monde à la Pentecôte. Jean annonce donc un justicier qui punit. Pourtant il « annonçait au peuple la Bonne Nouvelle », dit saint Luc, l’évangéliste des paraboles de la miséricorde. Comment expliquer ce paradoxe ? Il me semble que c’est l’expérience de la miséricorde qui donne le sens du péché. On a dit que la flamme du même amour divin brûle les damnés en enfer, purifie les âmes au purgatoire et béatifie les élus au paradis. À une sœur qui parlait d’expier par des sacrifices, sainte Thérèse de Lisieux répliquait :  »Vous voulez la justice, vous aurez de la justice » ; elle-même se consacrait à l’amour miséricordieux. « La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde… Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle… Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu : « Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer » (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit : « Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde ». La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon » (n.21). Le saint curé d’Ars comparait la miséricorde divine à un fleuve débordant qui emporte dans son courant tout ce qu’il trouve. Pour se plonger dans l’océan d’amour, il faut moins sentir que consentir. Le pape François répète souvent qu’il est plus facile d’aimer que de se laisser aimer, et il invente un verbe nouveau en invitant à se laisser « miséricordier ».

            « Seigneur Jésus-Christ, toi qui nous as appris à être miséricordieux comme le Père céleste, et nous as dit que te voir c’est le voir, montre-nous ton visage et nous serons sauvés… Tu es le visage visible du Père invisible, du Dieu qui manifesta sa toute-puissance par le pardon et la miséricorde : fais que l’Église soit, dans le monde, ton visage visible, toi, son Seigneur ressuscité dans la gloire… Envoie ton Esprit et consacre-nous tous de son onction pour que le Jubilé de la Miséricorde soit une année de grâce du Seigneur… Nous te le demandons par Marie, Mère de la Miséricorde, à toi qui vis et règnes pour les siècles des siècles. Amen. »

frère Jean-Gabriel

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