Homélie pour le 27e dimanche du Temps ordinaire, 2/10/2022

« Seigneur, augmente en nous la foi ». Cette demande montre que les apôtres ont déjà la foi, puisqu’ils s’adressent à Jésus en lui disant : « Seigneur », son titre de ressuscité qui a reçu tout pouvoir de son Père. Mais leur prière vient de leur sentiment d’être un peu écrasés par les exigences incroyables du Christ pour qui veut être son disciple.

Jésus leur répond par une hyperbole : un rien de foi suffirait pour déraciner un arbre et le transplanter dans la mer. « Si vous aviez de la foi » comme une minuscule graine de sénevé, vous pourriez transplanter dans la mer ce sycomore, l’arbre majuscule. Bien sûr, Jésus ne veut pas dire que nous pourrions faire des prodiges aussi insensés qu’inutiles. Il a lui-même refusé de faire des démonstrations de puissance ostentatoire (Mt 12, 39 ; 16,4 ), comme un magicien de cirque. Il veut dire simplement : avec la foi, rien ne vous serait impossible.

Mais les apôtres ont-ils une foi suffisante pour que rien ne leur soit impossible ? La réponse est négative. Leur prière avoue leur insuffisance. Ils n’ont pas ce levier qui les rendrait capables de soulever le monde. Et l’impossible, c’est la mission que le Seigneur va leur donner, d’être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre, avec la puissance d’en haut celle de l’Esprit Saint (Lc 24,49 ; Ac 1,8). S’ils croient, leur pouvoir ne sera pas de déraciner ce sycomore, mais celui d’implanter l’Évangile dans toutes les nations. Mais pour être dotés de l’Esprit de puissance du Seigneur, ils doivent prendre conscience de leur condition de serviteurs.


Nous ne sommes que de pauvres serviteurs sans valeur dans notre petitesse. Dans la parabole qui suit, le Seigneur pose la question initiale : « Lequel d’entre vous…? ». Jésus, par un procédé pédagogique, invite l’auditeur à s’identifier non avec le personnage qui le représente (le serviteur) mais avec le personnage principal (le maître). Il y a substitution de personne : lequel d’entre vous-mêmes aurait l’idée d’aller au devant de son esclave qui rentre des champs pour lui dire : « Viens vite à table ». Personne, évidemment ! Ne lui dirait-il pas plutôt : « Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir… Ensuite tu pourras te restaurer ». Serait-il reconnaissant à son serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? Même pas ! Alors, tirez vous-mêmes la conclusion : « Quand vous aurez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : Nous sommes des esclaves quelconques, ce que nous devions faire, nous l’avons fait ! »

Nous sommes de simples serviteurs, non pas inutiles, inefficaces, sans rendement, bons à rien ; ce sens répond mal à la parabole où l’esclave a rendu de réels services. Il faut plutôt comprendre : des esclaves sans travail qui ont fini leur tâche jusqu’à nouvel ordre. Donc, ils ne s’estiment pas quittes de leur devoir, ils n’en tirent aucune gloriole. Ils continuent de se tenir à leur place de serviteurs, et rendent grâce au Seigneur de les avoir appelés à son service. Comme Marie magnifie le Seigneur qui a jeté les yeux sur son humble servante. Comme Jésus, qui s’est anéanti en prenant la condition de Serviteur, abaissé, obéissant jusqu’à la mort de la croix (Ph 2, 5). Le Christ n’a jamais cherché à faire sa propre volonté, mais seulement la volonté de Celui qui l’a envoyé (Jn 5, 30).


Le pauvre serviteur sans valeur dans sa petitesse a pourtant cette foi qui le fait participer à la toute puissance de Dieu, pour qui rien n’est impossible.


Comme le prophète Habacuc, dans la 1re lecture, je pourrais accuser Dieu d’être le spectateur impuissant du gâchis des événements actuels : « Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu ne réponds pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas. Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? ». Cependant, Dieu est le Maître de l’histoire ; il interviendra, mais à son heure. Ce qu’il demande, c’est la fidélité jusqu’au bout. « Mon juste vit de la foi ».

Dans la 2e lecture, face à une situation grave pour l’avenir de l’Église, Paul, en prison, exhorte Timothée, son disciple : « Avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile ». Le Seigneur se choisit de faibles ouvriers pour que transparaisse mieux la puissance de l’Esprit Saint.

La foi, c’est l’alliance entre la faiblesse humaine et la toute puissance divine. Alors le « serviteur insignifiant » devient un « serviteur fidèle », au profit duquel les rôles sont carrément inversés : « Heureux le serviteur fidèle, trouvé vigilant, son maître prendra la tenue de service et le fera mettre à table » (Lc 12, 37). Les mots sont les mêmes que dans notre parabole, mais la situation est totalement différente. Voilà le bouleversement : Dieu n’a nul besoin de nos services pour augmenter sa gloire. Mais s’il nous aime, notre service peut être accompli pour qu’en toutes choses Dieu soit glorifié. Saint Benoît, au premier degré d’humilité de la Règle, parle du frère utile, selon les manuscrits. Le frère humble est utile par son inutilité même. Sa louange est gratuite, elle ne sert à rien, mais Dieu y trouve sa joie. Alors les obligations ne sont pas celles du devoir, comme si nous estimions être en règle avec la justice de Dieu. Sur le chemin où nous suivons Jésus, nous n’avons jamais fini d’aimer Dieu et les autres. Car la mesure de l’amour est d’aimer sans mesure. La foi est une force de démesure. Elle nous attache au Christ mort et ressuscité qui agit en nous et par nous. Serviteurs, nous nous tenons toujours à sa disposition, pour une imprévisible et exaltante aventure dans l’abandon, heureux de la grâce qu’il nous donne de servir un tel Seigneur. Vraiment, c’est un titre glorieux que le titre de « serviteur du Seigneur ».

frère Jean-Gabriel Gelineau +

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