Homélies du Père abbé en février 2025

Dimanche 2 février, la Présentation du Seigneur

L’offrande des prémices

« Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. » C’est pour accomplir ce précepte de la Loi que, quarante jours après Noël, Marie et Joseph se rendent à Jérusalem avec leur enfant nouveau-né. Aujourd’hui encore, ce commandement n’a rien perdu de sa valeur. À Kergonan, nous en savons quelque chose. En effet, nous sommes un certain nombre, parmi les membres de la communauté, à être les aînés de nos familles.

Dans l’Ancien Testament, les premiers fruits de la terre ou du sein maternel sont considérés, à juste titre, comme ce qu’il y a de meilleur. Et la coutume d’offrir à Dieu la meilleure part des produits du sol remonte à des temps immémoriaux. Ainsi, « Abel présenta [au Seigneur] les premiers-nés de son troupeau, en offrant les morceaux les meilleurs » (Gn 4, 4). Cette part prélevée sur les premiers fruits de la récolte ou du bétail pour être offerte à Dieu est appelée « prémices ». En donnant au Seigneur la primeur des produits de la terre, les hommes lui offrent la meilleure portion, celle qui a été tirée d’un sol riche en nutriments ou d’une bête jeune et vigoureuse. D’autre part, si Dieu est le premier servi, on est sûr qu’il ne sera pas oublié dans le partage de la récolte. En outre, le rite des prémices comporte encore un autre aspect : la partie offerte en sacrifice vaut pour le tout. La consécration à Dieu de la primeur des fruits sanctifie la récolte tout entière. Saint Paul écrit ainsi aux Romains que « si la partie de la pâte prélevée pour Dieu est sainte, toute la pâte l’est aussi » (Rm 11, 16). À travers l’offrande des premiers fruits du sol, c’est donc l’ensemble des biens terrestres qui passe de l’ordre profane au domaine du sacré.

L’offrande des premiers-nés de l’homme et du bétail est une application particulière de la loi sur les prémices. Mais elle rappelle aussi la nuit où « le Seigneur fit mourir tous les premiers-nés au pays d’Égypte, du premier-né des hommes au premier-né du bétail » (Ex 13, 15). C’est pourquoi le Seigneur peut dire à Moïse : « Tout premier-né m’appartient : tout premier-né mâle de ton troupeau, gros ou petit bétail. » (Ex 34, 19). Toutefois, les petits des animaux et les petits d’hommes ne sont pas traités de la même manière. Les premiers sont sacrifiés, tandis que les seconds doivent être rachetés. Le récit du sacrifice d’Isaac, où l’enfant qui doit être offert à Dieu est finalement remplacé par un bélier, illustre bien cette loi de rachat des premiers-nés. Plus tard, ce rachat sera assuré par les lévites, qui tiendront la place des premiers-nés. « Moi, dit le Seigneur à Moïse, j’ai pris les lévites au milieu des fils d’Israël, à la place de tout premier-né parmi les fils d’Israël. Ainsi les lévites sont à moi. » (Nb 3, 11). Ils sont chargés d’assurer le sacerdoce en présence du Seigneur. Et à travers la tribu de Lévi, qui tient lieu de prémices pour les fils d’Israël, c’est le peuple tout entier qui se trouve consacré à Dieu.

Frères et sœurs, dans l’enfant Jésus amené à Jérusalem par ses parents pour être présenté au Seigneur, nous reconnaissons le premier-né par excellence. C’est par l’offrande qu’il fait de lui-même à son Père que sont rachetés tous les premiers-nés. Comme nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, il est le véritable « grand prêtre miséricordieux et digne de foi », dont la consécration était préfigurée par celle des fils de Lévi, afin de sanctifier le peuple tout entier. « Premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29), Jésus constitue les prémices de l’humanité rachetée. Et dans l’Eucharistie que nous célébrons, son offrande nous est rendue présente, pour que nous puissions nous y associer jour après jour.

Nous qui avons été unis à lui par le baptême dans sa mort et sa résurrection, nous avons été consacrés avec lui. Saint Jacques écrit ainsi que Dieu « a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures » (Jc 1, 18). Avec le Christ, les chrétiens forment la part prélevée sur le genre humain pour être offerte à Dieu, en vue de la sanctification du monde entier. Parmi eux, certains sont appelés à vivre cette consécration de façon plus intense à travers les vœux de religion. Les religieux forment en quelque sorte les prémices prélevées sur le peuple de Dieu et offertes au Père avec Jésus, pour un accroissement de sainteté dans l’Église tout entière. C’est la raison pour laquelle saint Jean-Paul II a voulu faire de la fête de la Présentation du Seigneur la journée de la vie consacrée. Que la solennité de ce jour, chers frères moines, attise toujours davantage notre désir de nous offrir à Dieu, par les mains de Marie, avec Jésus, le fruit de ses entrailles. Et vous, frères et sœurs laïcs, priez pour les religieux, afin qu’ils soient toujours fidèles à leurs engagements. Demandez au Seigneur d’appeler de nombreux jeunes à le servir dans la vie consacrée, afin de rappeler à toute l’Église sa vocation à la sainteté. Et à l’imitation de la Vierge très pure, ne craignez pas d’offrir à Dieu le plus beau fruit de vos entrailles, afin que ce don rejaillisse en abondance de bénédictions sur vos familles, sur toute l’Église, et sur le monde entier. Amen.

Mardi 25 février, Funérailles du frère Raymond Chailloux

« Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces. » Toute notre vie sur la terre est une attente du divin Maître. Et cette attente peut être longue, voire très longue. Il y a des jours où, comme l’écrit saint Paul, « nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur ». Car, nous le savons, Dieu est l’unique source de notre bonheur. Il nous a créés pour vivre auprès de lui et nous appelle à partager sa propre vie en le contemplant face à face. L’attente du jour béni où le Seigneur frappera à notre porte doit attiser notre désir, le rendre plus fort et plus ardent. Notre frère Raymond a vu beaucoup de ses contemporains le précéder sur l’autre rive. Et il espérait bien qu’un jour, son tour viendrait.

L’attitude à laquelle le Seigneur nous invite en attendant sa venue n’est toutefois pas celle passive d’un patient dans la salle d’attente du cabinet médical. C’est au contraire une attente active. « Restez en tenue de service, recommande Jésus à ses disciples, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. » Toute sa vie, le frère Raymond s’est montré un serviteur humble et fidèle. D’abord à la ferme de ses parents. Puis chez les sœurs de Saint-Gildas. Enfin à Kergonan, où il a travaillé au jardin pendant de longues années, avant d’assurer le service du réfectoire jusqu’à l’âge de 93 ans. La lampe allumée dont parle le Christ, c’est celle de la foi, qui doit nous guider dans l’obscurité de notre pèlerinage terrestre jusqu’au jour où nous parviendrons à la claire vision. Cette foi, notre frère l’a entretenue par une pratique assidue de la lectio divina, et par une grande régularité dans la prière et les exercices conventuels.

Et voici que vendredi dernier, aux premières heures de la nuit, le divin Maître a frappé à la porte de notre frère Raymond. L’a-t-il trouvé en train de veiller ? Tout ce que nous venons de rappeler au sujet de son existence consacrée à Dieu dans un service humble et caché nous incite à la confiance. À bon droit, nous pouvons espérer que tel l’arroseur arrosé, le serviteur sera servi. Oui, comme le Maître l’a promis à ceux qui l’auront fidèlement servi, « c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir ».

Quel paradoxe ! Le Christ lui-même se met au service de ses serviteurs ! Et c’est précisément l’objet de sa venue dans notre chair. Il « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45). Il s’est fait notre serviteur pour payer le prix de notre rédemption. Par sa croix et sa résurrection, il nous a arrachés à la mort et nous a donné la vie éternelle. Et à chaque Eucharistie, il nous fait passer à table. Il nous sert sa propre chair, son corps mort et ressuscité pour nous, afin de nous faire participer nous aussi à son mystère pascal.

Chaque jour, le frère Raymond a communié au Corps et au Sang de Jésus, dans lesquels nous est donné le gage de la vie éternelle. Aujourd’hui encore, alors qu’est venu pour lui le moment de « paraître à découvert devant le tribunal du Christ », nous offrons à son intention le sacrifice eucharistique, afin que le Juge plein de tendresse lui ouvre tout grand les portes de son cœur et l’introduise sans tarder dans la salle des noces éternelles. Amen.

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