Homélie pour la messe de jubilé des cinquante ans de profession du frère Raymond

Le temps de la Passion, qui est encore tout proche, nous a conduits dans un jardin, tout comme celui de la résurrection de notre Seigneur. Depuis le commencement du monde, les jardins occupent une place prépondérante dans l’Histoire du salut. Tout semble y commencer et y recommencer. C’est comme si les jardins apparaissaient comme des lieux fertiles, des lieux de croissance, de boutures, de recommencements. Au matin de Pâques, Jésus lui-même est pris pour un jardinier. Un jardinier accusé d’avoir dérobé quelque chose qui n’avait rien à faire dans un jardin : le cadavre d’un homme. Une autre femme un autre jour avait rencontré, dans un jardin, une bête qui n’avait non plus rien à faire là : un serpent. L’exégèse rabbinique nous apprend que Adam fut mis en cause : à lui avait été confié la garde du jardin : il aurait donc dû veiller pour que rien d’inconvenant n’y puisse entrer, surtout pas un serpent. Nous connaissons la suite…


Dans la première lecture de ce jour, nous quittons le jardin pour venir à la table pour laquelle le service réclame des mains et des bras. Il y a trop à faire pour le soin des tables et il faut confier cela à des personnes idoines, généreuses et qui ne comptent pas leur temps. Jésus n’est-il pas lui même au milieu de nous comme celui qui sert, avec cette manie qu’il a de traverser les murs et les portes, à l’improviste ! Tout cela, tout simplement pour être là, avec nous !


Voici un peu plus de 50 ans, celui qui s’appelait alors frère Louis-Joseph, recouvra son nom de baptême et devient pour nous et parmi nous frère Raymond. Comment était-il arrivé ici ? Eh bien… c’était déjà un coup de « ‘polyte », autrement dit notre frère Hippolyte qui lui aussi avait recouvré son prénom de baptême et ne fut plus appelé frère Joseph. Face au délitement du cadre religieux, cadre qui avait jusque-là facilité l’épanouissement de nos deux frères, la recherche d’un pâturage serin était devenue une nécessité. Ayant une sœur moniale à l’abbaye voisine, « ‘polyte » invita Raymond à « venir voir », un peu comme l’apôtre Philippe vis à vis de Nathanaël. C’est ainsi qu’à 43 ans vous deveniez, cher frère Raymond, moine de l’abbaye Sainte-Anne de Kergonan, après quelques années chez les frères de Saint-Gildas-des-bois.

À l’image du Maître et Seigneur que nous cherchons et suivons, votre vie de moine s’est épanouie à l’ombre et au soleil, entre le jardin et le service caché du réfectoire. Vous aviez été préparé à ce service authentique par votre vie à la ferme familiale. On s’y était préoccupé de votre constitution « chétive » inappropriée pour un fermier. Qui le croirait, après vous avoir vu abattre tant de travail pour vos frères en 50 ans ? Au jardin vous avez appris la science divine dans le livre de la création ; au réfectoire – suite logique – vous permettiez que tous pussent se rassasier convenablement. Rien ne se voyait trop, car les travaux de préparations sont naturellement cachés et ignorés de la plupart. Là encore Jésus vous a conformé à ses manières de faire. Levé à 4 heures du matin pendant tant et tant d’années afin de « prier le Père dans le secret », rien ne semblait pouvoir résister à la force que Dieu vous a confiée.

Chaque année en a reçu une nouvelle au point qu’arrivé dans votre 95e année, vous vous trouvez tout étonné de ce jubilé. « Je n’aurais pas imaginé être encore là 50 ans après ». Oui, assurément, notre vie n’est pas à nous-même, et nous ignorons tout de ce qu’elle sera. Votre propre vie en est un témoignage majestueux, cher frère Raymond. Merci de nous le donner !

C’est votre piété simple et droite qui vous avait fait remarquer alors que vous étiez tout jeune, et c’est encore elle qui vous caractérise aujourd’hui. Notre Dame que vous invoquez chaque matin au pied du lit en est un beau reflet, discret là encore !


50 ans est aussi un chiffre pascal ! Les chrétiens sont invités à célébrer l’unique jour de la Résurrection pendant 50 jours. Si ce temps est le plus souvent bien mystérieux pour nous qui ne sommes pas encore tout à fait ressuscités, nous constatons chaque année que ces 50 jours sont heureusement traversés. De même, vous avez heureusement traversé ces 50 années, avec un émerveillement croissant au fur et à mesure qu’elles se sont accumulées. Et ce n’est pas fini !

Si c’est à Dieu que nous rendons grâce pour vous avoir donné cet élan, chacun de nous vous remercie d’avoir dit « oui » et d’être là, comme un témoin ! Un témoin fidèle ! Un témoin de stabilité ; un témoin d’un engagement sans retour, quotidien, répété chaque jour depuis 50 ans, « sous une Règle et sous un abbé ».


Que la Reine du « Fiat » vous accompagne et vous garde parmi nous tant qu’il plaira à Dieu.


Amen

frère Laurent de Trogoff +, prieur administrateur

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