Homélie pour la messe In cena Domini, jeudi saint 1er avril 2021

En ce soir du jeudi Saint, Jésus donne à son Église qui va bientôt naître de son côté ouvert, la force pour suivre le chemin que Lui Jésus a suivi. Jésus nous donne en effet ce soir une force, la force de « passer ». Lui qui a toujours enseigné ses disciples à partir d’événements réels et bien concrets, a choisi de se mettre lui-même en Cène, et de passer !


Cet instant précieux entre tous prend place alors que Jésus arrive au terme de son voyage terrestre. Deux expressions solennelles mentionnent le poids lourd, dramatique et initial de ce qui va se dérouler entre les convives. Il semble que tout prenne une durée plus pleine, un temps mieux rempli, une densité saturée.

« Sachant que son heure était venue de passer », dit le texte. Voici environ 30 ans qu’il se prépare humainement à cette heure humaine-là. Voici 30 ans que Jésus passe afin de se préparer à passer définitivement, une fois pour toute. De même que le Seigneur est passé une nuit, une fois, une certaine fois une certaine nuit dans un certain pays d’Égypte, autrefois, Jésus va lui aussi passer ce soir d’un monde à un autre. Jésus vit donc ici son ultime préparation. Il fait les derniers préparatifs d’un passage, d’un pèlerinage. Il est venu dans le monde, il est né, il a vécu pour ce passage-là. Ce qui est curieux, c’est que lui n’a rien demandé. Il n’a pas même besoin de ce passage. Seulement il sait une seconde chose : « son Père a tout remis entre ses mains ». À cet instant, tout lui appartient. Pour la première fois peut-être il va faire quelque chose qu’il n’a pas vu faire par son Père. Car son Père Lui a tout remis y compris de poser le geste de son propre passage. Et pour nous le faire comprendre, Jésus va lui aussi passer entre les mains de ses apôtres. Il va passer de mains en mains, et cela jusqu’à la fin, jusqu’à l’extrême.

Pour enseigner cela, pour expliquer à ses disciples dans un ultime enseignement ce passage, Jésus passe. Au cours du repas il décide de passer non pas seulement de main en main, mais aussi de pied à pied. Ce geste surprend : il est tout à fait inattendu. Jamais Jésus n’a appris à ses disciples cela, et d’habitude il n’est pas commun d’inventer de nouvelles choses au dernier moment. Mais celui qui connaît le Cœur de Jésus ne peut s’en étonner, car il sait que rien n’arrive à l’improviste de la part de Jésus. Et Jésus passe devant chacun de ses disciples. Dans un geste sacerdotal, Jésus touche chaque pied et le lave. Le droit d’abord, puis le gauche ensuite. Ces pieds seront propres pour porter ces hommes qui vont tous le trahir, fuir et l’abandonner. Jésus fait ici un service qui ne sert techniquement à rien. Ce soir-là, ce premier jeudi-saint-là, son tout premier geste fut de nous donner sa Présence réelle, et de la rendre renouvelable par les mains des prêtres. Son second geste est d’instituer un rite de passage : se mettre à genoux devant ses disciples. Oui, ce jour-là, ce geste d’agenouillement pour laver les pieds des disciples, est devenu un geste éminemment sacerdotal. Ses disciples n’avaient pas besoin d’avoir les pieds lavés. Mais Jésus a lavé les pieds de ses disciples afin qu’ils soient ensevelis dans sa mort. Il a reproduit sur eux le geste que fit un jour une femme sur ses propres pieds à lui. Chacun des disciples va être touché par Jésus d’un geste inimaginable, un geste qui va passer, un geste de passage. Il leur faut recevoir ce geste afin d’avoir part avec lui, même si dans un premier temps ce geste ouvre justement les heures où ils vous choisir de n’avoir plus aucune part avec lui, et l’abandonner !


Tout ceci nous apprend que Dieu ne regarde pas à nos velléités, à nos réussites, à notre amour, pas plus qu’à nos échecs. Jésus regarde à son propre Cœur qui n’est qu’amour. La seule chose qui pourrait faire souffrir le Cœur de Jésus serait qu’il ne puisse plus aimer, ce qui est impossible. En fait ce n’est pas tout à fait exact. Ce qui peut aussi faire souffrir le Cœur de Jésus c’est de n’être pas reçu par nous. C’est d’entendre encore une fois et malgré ce don sans repentance de lui-même qu’il fit ce soir-là, un cri répété depuis le commencement : « j’ai entendu ta voix dans le jardin et je me suis caché car j’ai eu peur ».

Comment pouvons-nous avoir peur d’un Dieu qui s’est mis à genoux devant chacun de nous ? Puisse sa bienveillance qui est infinie nous emporter dans ce passage de l’amour humain vers l’amour divin auquel nous devons tous consentir pour avoir part avec lui.

Amen

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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