Homélie pour la solennité de saint Michel 2020
La solennité que nous célébrons aujourd’hui est une belle occasion annuelle de tourner le regard de notre intelligence, et pourquoi pas de nos yeux, vers ces créatures invisibles qui sont occupées envers nous, soit à nous protéger, soit à nous faire choir. Sans doute, me direz-vous qu’il n’est pas opportun de poser un regard vers les démons. Et pourtant la Petite Thérèse que nous fêterons bientôt fit une expérience étonnante dans ce domaine. Dans un songe, elle découvrit que les démons avaient peur d’un regard pur. C’est tout de même intéressant pour nous. Si les démons ont peur d’une âme pure, alors le meilleur moyen de les combattre est sans doute de laisser Dieu nous convertir en sorte qu’un tel regard soit une épée contre les astuces de ces sales bêtes.
Aujourd’hui, je vous propose de parcourir quelques missions angéliques attribuées par Dieu à nos chers archanges. Le premier de tous, nous dit l’Écriture, est saint Michel. S’il est l’archange des combats de Dieu, il est aussi le gardien du peuple de Dieu dans l’Ancien Testament. Il gardera ce titre et cette fonction à l’égard du peuple de la nouvelle Alliance. Au livre de Daniel nous apprenons que ce bel ange sait se porter même au secours de ses confrères : « Le prince du royaume de Perse m’a résisté pendant 21 jours, mais Michel, l’un des Premiers Princes est venu à mon aide »1 dit Gabriel au prophète Daniel. L’archange bagarreur apparaît de nouveau dans ce même livre, au chapitre 12e. Il vient présider en quelque sorte à la résurrection des morts pour faire le tri entre les bons et les mauvais. Dans le nouveau Testament il apparaît dans le livre de Jude au sujet du corps de Moïse. Cet épisode ne nous est pas connu à ce jour. Il serait tiré d’un livre apocryphe. Les commentaires rabbiniques rapportent cependant un midrash sur le chapitre 34 du Deutéronome qui narre la mort de Moïse et la « fameuse » discussion entre le diable – Sammaël dans la littérature rabbinique – et Michel2. On objectera peut-être que le dialogue concerne en fait l’âme de Moïse et non son corps. Et pour finir nous retrouvons Michel vainqueur de Satan dans le livre de l’Apocalypse. Fort de tout cela nous découvrons donc un saint Michel combattant, gardien et négociateur.
L’archange Gabriel quant à lui apparaît nous l’avons vu dans le livre du prophète Daniel. Il est le clarificateur de la vision reçue par le prophète Daniel. Il faut noter qu’il donne donc l’intelligence pour pénétrer le sens de ce qui est dit. L’interprétation qu’il fournit à Daniel lui confère une place au sujet de la fin des temps comme son camarade Michel, si je puis dire. C’est surtout dans le Nouveau Testament qu’il nous est connu pour le message singulier qu’il est chargé de porter à la jeune Vierge Marie. S’il angélise la force de Dieu – puisqu’on ne peut pas dire « incarne » ! – il faut considérer cette force comme l’expression de l’intelligence du plan divin et non pas comme la puissance combative de Celui-ci, puissance réservée à Michel, nous l’avons vu. Notons que la sublime mission de l’ange Gabriel auprès de la Vierge a transformé en quelque sorte le statut des bons anges. En effet Gabriel fut envoyé à celle qui deviendra reine des anges et des hommes, par la coopération qu’elle apportera à l’œuvre pascale du Christ.
L’archange Raphaël nous est connu dans le délicieux livre de Tobit. Son nom manifeste la guérison que Dieu donne. Il trouve donc tout naturellement place dans l’histoire de ce pauvre homme qui perdit la vue, mais aussi et surtout dans la triste histoire de Sarra « la tueuse de maris » selon les discours de la servante de la jeune fille3. Il faut bien reconnaître que sa mission est bien plus délicate que celle de ses deux confrères. On le constate lorsqu’il s’agit d’expliquer à Tobit de quelle tribu il sort. « Que t’importe ma tribu » rétorque l’ange, quelque peu embarrasser ! Reconnaissons, qu’on le serait pour moins. Mais voici que Tobit insiste : « C’est que je veux savoir en vérité de qui tu es le fils, et quel est ton nom, frère ». La réponse de l’archange tombe alors tout net : « Je suis Azarias, fils d’Ananias le Grand, l’un de tes frères ». Il ne fait aucun doute que saint Augustin s’exclamerait le plus naturellement du monde, comme il le fit en commentant l’histoire du droit d’aînesse conquis par Jacob auprès de son père Isaac : « Non mendacium, sed mysterium ». Quoiqu’il en soit, Raphaël se distingue donc par sa parfaite connaissance des chemins qui mènent là où Dieu nous attend. Il guérit volontiers toujours selon le commandement de Dieu. Un écrit pseudépigraphe – dont l’auteur revendiqué n’est pas le vrai –, rapporte aussi qu’il pourrait être utile pour mettre aux arrêts certains mauvais anges. On lit en effet au livre apocryphe d’Hénoch qu’il intervient pour châtier les mauvais anges.
C’est dans cet ouvrage apocryphe que nous retrouvons du reste nos trois archanges. La littérature judéo-chrétienne nous montre ainsi combien ces êtres merveilleux travaillent au salut du genre humain conformément à ce que le Christ vrai Dieu et vrai homme qu’ils servent, leur commande. Puissions-nous accueillir leurs suggestions à travers la lumière qu’ils communiquent afin de mener, nous aussi le bon combat.
1 Dn 10, 13.
2 Midrash rabba sur le Deutéronome : « Sammaël, l’ange impie, chef de tous les anges accusateurs, attendait la mort de Moïse à chaque heure demandant : Quand le temps ou le moment de la mort de Moïse viendra-t-il, que je puisse descendre pour emporter son âme ? Et c’est de lui que David dit : L’impie guette le juste et cherche à le faire mourir (Ps 37, 32). Aucun des anges accusateurs n’est aussi impie que Sammaël et aucun des prophètes n’est aussi juste que Moïse, ainsi qu’il est dit : Il ne s’est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face (Dt 34, 10). Il était comme un homme qui, ayant été invité à un banquet de mariage, est impatient de s’y rendre et demande : Quand leur allégresse viendra-t-elle, que je m’y associe ? De même, Sammaël l’impie attendait l’âme de Moïse, demandant : Quand Michaël sera-t-il en pleurs tandis que je remplirai ma bouche de rires ? Sur quoi Michaël dit : Quoi, être impie, je pleurerais et tu rirais ! En effet, il est dit : Ne te réjouis pas à mon sujet, ô mon ennemie : si je suis tombée, je me relèverai ; si je demeure dans les ténèbres, Yahvé est ma lumière (Mi 7, 8). Si je suis tombée, à cause du décès de Moïse, pourtant, je me relèverai, grâce aux qualités déployées par Josué lorsqu’il aura vaincu les trente et un rois. Si je demeure dans les ténèbres, à cause de la destruction du premier Temple, puis du second, pourtant, Yahvé est ma lumière : aux jours du Messie ».
3Tb 3, 8.
frère Laurent de Trogoff +, prieur administrateur