Homélie pour le Vendredi Saint 2022

Le récit de la Passion que nous venons d’entendre, s’ouvre par une première parole de Jésus, peut-être la plus révélatrice de sa divinité, à l’instant même qui initie le tout début de son arrestation. Aux soldats qui disent chercher Jésus le Nazaréen, celui-ci répond : Ego eimi : « Je suis ». Cette proclamation sortie tout droit de la bouche de Dieu est reprise par l’auteur biblique à trois reprises, comme pour laisser le lecteur stupéfait de ce qu’il entend, et peut-être même en espérant voir ce lecteur lui aussi tomber « par terre », tomber à la renverse comme l’ont fait les soldats nocturnes, ébranlés les uns et les autres dans ses humaines certitudes.

À l’instant suivant, Jésus dévoile encore un peu plus le visage de son autorité divine, sommant la bande soldatesque de laisser aller ces simples hommes qui l’entourent, les disciples. Ce qu’ils font. Jésus fait encore davantage ressentir sa royale domination par deux paroles : l’une adressée à Pierre afin qu’il renonce à faire parler les armes ; l’autre en guérissant Malchus le pauvre soldat amputé de l’oreille, d’un geste recréateur comme à la dérobée. La domination de Jésus devant ce déchaînement progressif du mal qui monte telle une mer méprisant tout obstacle, laisse dans un ahurissement désarmé. Quel est cet Homme qui se donne ainsi à attraper ? Cette question raisonne certainement dans le cœur de tous ces acteurs que nous rencontrons dans ce récit de la Passion. Puisse-t-elle aussi raisonner dans les nôtres.

Et voici que s’ouvre le dialogue entre les deux grand-prêtres ! Celui des juifs les mains libres interroge, manifestant par là-même son ignorance crasse, témoignant de lui-même qu’il n’a jamais cherché à s’informer. L’autre se tient debout, les mains liées, la parole claire et nette, renvoyant sans aucun détour son homologue vers la source de ses enseignements. La confiance qui rayonne de cette attitude du Christ est elle aussi révélatrice de la présence trinitaire qui l’habite. Lui le premier ne s’inquiète pas de ce qu’il a dire devant un tribunal : cela lui est donné à chacun instant par l’Esprit Saint. Et sa parole est tellement performante qu’elle dérange les bonnes manières sacerdotales en vigueur, comme en témoigne la gifle du garde. Aussitôt Jésus tend l’autre joue et demande une explication à ce garde, tel un homme qui toujours prend au sérieux celui qui entre en relation avec lui, fut-ce avec violence. De la part de Jésus, c’est une nouvelle révélation de la vie trinitaire qui jamais ne laisse rien sans réponse, sans regard, sans amour. Jésus va à la rencontre de sa créature coûte que coûte, afin de lui offrir le salut qu’il accomplit, le salut qu’il offre, le salut qu’il est.

Et voici qu’éclate la royauté divine de Jésus. Il est roi d’un royaume dont les myriades angéliques n’ont pas reçu ordre de combattre. Pourtant le Père a tout remis entre ses mains, si bien que tout est encore possible. Mais Jésus veut aimer à armes égales, et non pas combattre en soumettant. Car Jésus n’est venu que pour cela : nous faire le don de l’amour dont on aime dans la Trinité et le répandre sur l’humanité, versant jusqu’à la dernière goutte mais sans jamais l’épuiser, le sang de son Sacré Cœur.

Et puis finalement Jésus ne dit plus rien. Le Verbe n’a plus de parole à donner. Tout a été dit à l’humanité pour les siècles des siècles. Dans ce silence du Verbe, il peut nous sembler moins facile de reconnaître l’absolue souveraineté divine de Jésus. C’est pourtant ce silence divin sur lequel s’écrasent les mesquineries pitoyables qui nous sont énoncées, qui témoigne de l’amour compatissant de Dieu en Jésus. Souvent, et encore de nos jours, la créature humaine abrutie par l’esprit d’un monde qui ne cherche que soi-même, reproche à Dieu ce silence comme un signe d’impuissance présumée. Mais quelle expérience avons-nous de la silencieuse compassion divine d’un Dieu qui ne se trompe jamais ?

Et cette compassion se tourne maintenant vers Marie. Jésus semble avoir gardé ce long silence afin de préserver des forces nécessaires pour dire ses dernières paroles. L’une à Marie sa Mère afin qu’elle apporte à l’Église naissante la nourriture forte et maternelle qui lui est nécessaire. L’autre à Jean pour recevoir de Marie les secrets du cœur de Jésus. Et la toute dernière à son Père qui est toujours avec lui, pour lui rendre compte de toute la mission qui lui avait été confiée.

Et nous, qu’allons-nous faire maintenant ?

Amen

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

Catégories : Homélies