Homélie pour la solennité de Pâques 2023

« Surrexit Christus spes mea : praecedet suos in Galilaeam » : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il précédera les siens en Galilée ».

Telle est la sublime annonce déposée dans la bouche de Marie-Madeleine par l’auteur de hymne pascale Victimæ paschali laudes qui a rempli de son chant et de sa lumière cette église abbatiale. Par un retournement théologique merveilleux, avec le Christ ressuscité, Marie-Madeleine retrouve indissociablement aussi ressuscitée, son espérance. Spontanément pourtant, la résurrection place la foi en bonne première. Mais Marie-Madeleine, première des apôtres a vu, si bien qu’elle a déjà enjambé cette réalité de la foi. Dès lors, le Christ étant vu ressuscité, sa résurrection ne serait plus comme tel objet de foi pour ceux qui sont concernés par cette vision. Le compositeur attire donc notre regard vers le Ciel et nous conduit à contempler le Christ vivant qui nous précède toujours, tout comme l’espérance de celle qui a déjà cru. La réalité narrée dans l’évangile qui a été proclamé est pourtant différente. Maire-Madeleine n’y a pas encore vu son Seigneur. Elle le croit dérobé. Elle est donc « de notre côté » en quelque sorte, nous qui n’avons pas vu. Elle nous prend par la main et ainsi la résurrection devient, comme pour elle aussi, objet de foi et invitation à l’espérance.

L’évangile en effet nous présente une scène assez confuse où Marie-Madeleine n’intervient que comme témoin d’une absence. Absence que Pierre vient constater et sceller d’une interrogation muette (Il du reste curieux de voir l’engouement des pèlerins pour ce rendre au Saint Sépulcre à Jérusalem, puisque nous savons par révélation que c’est le seul endroit où on ne le trouvera pas). Tandis que Jean en bon troisième rapporte qu’il donna aussitôt foi à cette même absence. Le Christ, lui, n’est présent que par son absence. Il nous précède tous dans notre vie quotidienne, symbolisée dans l’hymne susmentionnée, par « la Galilée ».
Trois regards différents sur une même scène s’offrent donc à nos interrogations. Qu’est-ce qui a bien pu empêcher Marie-Madeleine et Pierre de croire aussitôt. Serait-ce une étroitesse de coeur ? Est-ce d’un autre ordre ? Ce qui est fort curieux c’est que Jean est le seul à avoir été présent au Golgotha, à avoir vu l’état de déchéance dans lequel Jésus s’est trouvé laissé, s’est trouvé abandonné, s’est laissé enfermer. Jean qui a suivi Jésus jusque dans la cour du grand prêtre semble avoir disparu de la circulation après la mort de Jésus. Peut-on imaginer qu’après avoir écouté son coeur en suivant son Maître jusque-là, il n’ait pas continuer de le suivre jusqu’au tombeau roulé d’une pierre massive ? Au fond Jean a toutes les raisons de ne pas croire, car il a vu ! Et il nous dit pourtant exactement l’inverse : « il vit, et il crut ». L’apôtre ne nous explique pas le motif de l’immédiateté de sa foi. Il reste d’une discrétion presque agaçante, car nous aimerions bien savoir ! En fait ce n’est pas tout à fait vrai ! Car il écrit justement, après : « ils ne savaient pas encore que, d’après l’Écriture [Jésus] devait ressusciter d’entre les morts ». Cela laisserait entendre que Jean, lui, le savait. Mais les juifs aussi pouvaient savoir que d’après les Écritures le Christ ressusciterait. Cela signifie qu’il ne suffit pas de savoir pour donner son adhésion : il faut quelque chose de plus.

Jean est le tout premier homme a avoir donné sa confiance à la résurrection du Christ. Mais il n’en parlera pas. La ligne qui suit le texte que nous avons lu, s’achève sur ces mots laconiques : « ils s’en retournèrent alors chez eux ». Goûtons cette douce discrétion de Jean qui garde pour lui ce dont il ne peut pas rendre compte aux autres. Il croit, un point c’est tout. Par cet acte de foi, sa vie vient de basculer. Il vit désormais dans un autre monde en quelque sorte. Il sait que le Christ a remporté la victoire sur la mort, il sait que plus rien ne pourra jamais être comme avant. Il sait que tout est terminé. Il sait que les Écritures sont accomplies. (Il manque peut-être de nos jours au peuple chrétien, la certitude de cette victoire définitive !) En ce jour de Pâques, prenons Jean chez nous, et laissons-le nous parler au coeur, de cette résurrection de Jésus, laissons-le nous parler de cet instant merveilleux où il crut sans retour, où sa joie fut telle qu’il ne put rien dire sur le moment. Puissions-nous recevoir nous aussi la grâce de cet emportement avec le Christ ressuscité !

Amen, alléluia !

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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