Homélie pour le dimanche des rameaux, 2 avril 2023

Faut-il être passionné pour vivre une telle Passion ! Rien, absolument rien n’est parvenu à altérer cette passion de Jésus. Passion pour nous, pour notre salut, pour notre bonheur éternel. Mais quel est le secret de cette passion christique ? De quoi se nourrit-elle ? Sur qui s’appuie-t-elle ? Elle trouve son fondement dans une autre passion. Une passion antérieure, une passion intérieure, une passion infinie, une passion sans commencement, une passion divine, une passion tout simplement trinitaire : celle de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, pour son Père.

Rien, absolument rien de ce que Jésus a vécu ne serait advenu sans cette relation. Une relation d’une intensité inaltérable, subsistant jusque dans son humanité. Jésus ne se pense pas en dehors de sa relation à son Père. Il ne le veut pas, il ne le peut pas. Jésus est d’abord, avant tout, avant tous les siècles, avant tout commencement, un Fils ; le Fils unique d’un Père unique. Il en vit, il en déborde, il veut en communiquer la vitalité, la vérité, l’accès.

Au cœur de sa Passion si douloureuse, sa Passion si défigurante – « il ne ressemblait plus à un homme » 1 écrit le prophète Isaïe ! Une Passion vécue pour nous et en communion avec nous, au cœur de cet emportement d’amour, sa relation au Père est l’unique fil qui ne cédera jamais. Au paroxysme de sa déréliction, au moment même du sentiment d’abandon qui traverse et semble broyer son humanité, à cet instant incroyable, inenvisageable, impossible à inventer, Jésus qui aborde si souvent ses interlocuteurs en leur posant une question, se tourne alors vers son Père pour lui poser une dernière question. Il se tourne une toute dernière fois – sans même se tourner car il est toujours tourné vers son Père – et il adresse à son Père une dernière question. Une question de Fils à Père ; une question d’un Fils passionné vers un Père Passionné. Une question qu’il n’a pas inventée, une question comme il en a le secret, une question qui est un dialogue, une confidence, un chant, et finalement un psaume. Une question dont les premiers mots nous sont bien connus, peut-être même trop connus : « Eloa, Eloa, lamma sabactani ? » : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » 2 Dans son agonie déshumanisante, Jésus qui n’a pas la force de dérouler cette prière psalmique dans son intégralité, laisse à la foule d’en accomplir chaque ligne, chacun dans son cœur. Et c’est tout une confession d’accomplissements en cascades qui s’écoule alors comme une prophétie : déshumanisation, mépris, quolibets, bouche sèche, habits tirés au sors, mains et pieds percés.

Brusquement le ton change, les verbes s’avancent, tournés vers le futur et Dieu semble déjà faire toute chose nouvelle : « j’annoncerai ton Nom à mes frères ». Au dernier instant de sa vie terrestre, Jésus annonce une louange. Une louange fraternelle qui remet une nouvelle fois la relation à son Père au centre de tout, avec une note capitale, primordiale, filiale : la fraternité. Élevé de terre, Jésus qui va mourir d’une agonie passionnée d’amour, exulte dans cette vision de paix d’une humanité réparée dans sa relation à l’unique Père, à Notre Père. Se découvre ainsi à tous ceux qui accepteront cette « filialisation », ce lien de Jésus à son Père, ce lien qu’est Jésus vers son Père, ce lien qui fait de nous des fils et des filles dans le Fils. « Le Messie ne nous connaît pas comme quelque chose qu’on acquiert, il connaît chacun comme quelqu’un à qui il voue sa vie »3 !

Alors oui, tout est accompli ! Dans le Fils fait pour nous « homme », fait pour nous « frère », passionné pour nous, passionné pour son Père, tout est accompli puisque notre relation au Père est rétablie pour les siècles des siècles.

Amen

1 Is 52,14.
2 Ps 21, 2.
3 Grosjean Jean, L ’ ironie christique: commentaire de l’Évangile selon Jean, Paris, Gallimard, 1991, p. 169.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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