Marcher au devant du salut, dans une foi joyeuse
« L’homme retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin. » La liturgie de ce dimanche, frères et sœurs, nous invite à méditer sur le dernier miracle que Jésus accomplit dans l’évangile de saint Marc. Ce miracle est la guérison d’un aveugle. Nous sommes à Jéricho, ville située dans la vallée du Jourdain, à 300 mètres environ au-dessous du niveau de la mer. Parti de Galilée, au nord de la Palestine, Jésus est sur le point d’arriver à Jérusalem, où il doit mourir et ressusciter pour nous sauver. Ce miracle se situe donc au seuil du mystère pascal, tout proche, qui doit apporter aux hommes la joie du salut.
En sortant de Jéricho, Jésus est accompagné de « ses disciples et [d’] une foule nombreuse ». Tout ce cortège s’est agglutiné autour de lui au cours de son voyage, à partir de la Galilée. La Galilée des nations, fortement influencée par le paganisme environnant. Cette population bigarrée qui arrive des contrées du nord représente les peuples païens. Ces païens que Dieu doit venir chercher, lorsque les temps messianiques seront accomplis, pour les introduire dans son Alliance. Oui, Dieu doit venir rassembler tous ses enfants dispersés. C’est ce que nous a annoncé le prophète Jérémie dans la première lecture : « Ainsi parle le Seigneur : […]. Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. » Oui, bien que l’homme se soit éloigné de Dieu, Dieu ne l’abandonne pas. Bien que nous l’ayons rejeté, lui vient à notre secours. C’est pourquoi le prophète nous appelle à nous réjouir : Dieu vient à notre rencontre ! Il vient nous sauver ! Il vient nous racheter ! « Poussez des cris de joie pour Jacob ! Faites résonner vos louanges ! ». Le joyeux cortège qui escorte Jésus manifeste qu’en lui, les temps messianiques ont trouvé leur accomplissement. Il est formé de tous ces gens qui ont été guéris par lui, ou qui ont entendu parler de ses miracles, et qui ont reconnu en eux les signes du salut que Dieu nous apporte, les signes du messie.
Sur leur passage, un mendiant se fait remarquer. C’est Bartimée, le fils de Timée. Bartimée vit dans les ténèbres depuis de nombreuses années. Ces ténèbres de la cécité représentent celles du péché et de la mort. À Jéricho, notre aveugle ne se trouve pas à 6 pieds sous terre, mais à 900 pieds sous la mer ! Il est au plus profond de la fosse ! C’est cet homme désespéré que Jésus est venu appeler. C’est cet homme enfermé dans la nuit du péché que Jésus est venu guérir. C’est pour nous libérer du péché et de la mort que Jésus a été envoyé sur la terre. Mais la manière dont il nous sauve est très déconcertante pour notre pauvre regard humain… Jésus ne vient pas avec une armée puissante pour renverser l’occupant romain. Sa mission de salut ne correspond pas à un messianisme politique. Pour le reconnaître, nous avons donc besoin qu’il vienne lui-même ouvrir les yeux de notre cœur.
La guérison de l’aveugle de Jéricho, frères et sœurs, nous rappelle celle d’un autre aveugle, deux chapitres plus tôt, à Bethsaïde. L’illumination de ce premier aveugle a eu lieu juste avant un moment crucial dans l’évangile : la reconnaissance de la messianité de Jésus par Pierre, aussitôt suivie de la première annonce de la Passion, et de l’invitation à suivre Jésus en portant la croix. Il était bien nécessaire de recevoir le secours de la lumière divine pour reconnaître le Christ dans la personne de Jésus, tout en accueillant la révélation de ses souffrances à venir. La guérison de l’aveugle de Bethsaïde manifestait cette illumination dont les disciples avaient besoin pour recevoir l’annonce du mystère pascal.
La guérison du second aveugle, à Jéricho, a lieu quant à elle, juste avant l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, qui précède de peu sa passion. Ce que Jésus avait annoncé en secret à ses disciples est sur le point de se réaliser au grand jour. Les foules vont acclamer Jésus et proclamer devant tous les habitants de Jérusalem qu’il est le Christ. Et quelques jours plus tard, ce messie va mourir sur la croix avant de ressusciter pour notre salut. Là encore, nous serons plongés dans la nuit de l’incompréhension devant la manière d’agir si déconcertante de notre Dieu. Là encore, nous aurons besoin de la lumière de la foi pour confesser la messianité de Jésus malgré les ténèbres du Golgotha. La guérison de Bartimée est donc un signe de cette illumination surnaturelle qui nous est donnée pour que nous puissions entrer dans le mystère de la mort rédemptrice du Fils de Dieu.
Frères et sœurs, l’évangile que nous venons d’entendre parle de nous. L’aveugle assis au bord du chemin, plongé dans les ténèbres du péché, et appelé par Jésus, c’est nous. Le salut nous est offert, il ne nous est pas imposé. C’est par la foi que nous pouvons l’accueillir. L’histoire de Bartimée nous en donne une belle illustration, car Jésus lui-même lui déclare que c’est sa foi qui l’a sauvé. La foi, dit l’épître aux Hébreux, est « un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (He 11, 1), c’est une lumière dans notre nuit. Plongé dans l’obscurité la plus complète, l’aveugle de Jéricho ne voit pas Jésus, mais il entend parler de lui et le supplie : « Fils de David, prends pitié de moi ! ». Fils de David. C’est le titre messianique par excellence. Grâce à l’illumination intérieure que lui procure la foi, Bartimée reconnaît en Jésus le messie annoncé.
Et quand le Seigneur l’appelle, Bartimée s’élance. Il bondit de joie et court vers Jésus, son sauveur. Il y a quelque chose d’amusant à imaginer cette course à l’aveuglette. Vous avez sûrement déjà joué, un jour ou l’autre, à rejoindre quelqu’un qui vous appelait et vous guidait vers lui, alors que vous aviez les yeux bandés. Peut-être avez-vous couru de façon intrépide, mais si vous êtes comme moi, c’est plutôt par un tâtonnement prudent et de petits pas hésitants, que vous vous êtes avancés vers votre guide. Eh bien Bartimée, lui, tout aveugle qu’il soit, bondit et court vers Jésus. « Confiance » lui ont dit les disciples. Et il joue le jeu. Dans sa nuit, Bartimée avance vers Jésus avec une confiance totale. Il fait fi des obstacles, car il sait qui est celui qui l’appelle. Il annonce la foi confiante dont les disciples devront faire preuve au moment de la Passion.
« Et il suivait Jésus sur le chemin. » La foi de Bartimée, frères et sœurs, le conduit à Jésus et lui fait rejoindre l’assemblée des disciples, marcher à sa suite pour entrer à Jérusalem. Cette foule joyeuse qui entoure Jésus, c’est nous. Nous, que Jésus a rassemblés autour de lui ce matin dans cette église, au chant d’un introït qui nous appelait à la joie : « Laetetur cor quaerentium Dominum » (que se réjouisse le cœur de ceux qui cherchent le Seigneur). Comme la foule qui accompagne Jésus au moment où il va entrer à Jérusalem, nous allons nous aussi accompagner le Christ dans son mystère pascal, mystère qui nous est rendu présent dans cette eucharistie. Dans l’hostie que nous recevrons au moment de la communion, il viendra rencontrer chacun de nous personnellement. Alors, la liturgie nous fera chanter : « Laetabimur in salutari tuo » (nous nous réjouirons en ton salut). Sachons venir à lui, comme Bartimée, avec la joie d’une foi convaincue ! Sachons nous remettre à lui tout entiers avec une confiance inébranlable, parce qu’au milieu de nos nuits, de nos épreuves, de nos incompréhensions, de nos chutes, il vient à notre rencontre. Il vient à notre secours. Il vient nous apporter la joie du salut. Il vient, par sa mort et sa résurrection, nous ouvrir les portes du ciel, pour qu’en lui étant unis dans toute notre vie, nous le contemplions un jour, non plus dans l’obscurité de la foi, mais dans la lumière de la vision face à face. Immense alors sera notre joie de partager son bonheur éternel, et de chanter sa louange avec tous les élus, pour les siècles des siècles. Amen.
frère Jean-Vincent Giraud