Homélie pour la solennité du Christ-Roi, 24 novembre 2024
Arrivés au soir de l’année liturgique, l’Église nous invite à célébrer le Christ Roi de l’univers. Particulièrement dans les temps où nous sommes, avec les défits que l’Église doit relever ou auxquels elle doit faire face, d’aucun pourraient y trouver une sorte de gageure, et se sentir un peu mal à l’aise devant cette invitation. Un peu comme dans cette parabole de Jésus dans laquelle nombre d’invités refusent de venir au banquet préparé par le Roi, en invoquant telle ou telle excuse mondaine. Ici il ne s’agit pourtant pas de cela, car l’invitation est reportée à ce jour dont nous ne connaissons ni la date ni l’heure.
Pour l’instant il est question d’une royauté bien réelle, bien établie. Mais d’une royauté « tout autre » que celle à laquelle pense tout un chacun. Juda lui-même, l’un des douze, s’est fait prendre par la confusion. Il attendait un autre roi et sa déception lui fit vendre le Roi de l’Univers.
Pour célébrer cette fête, trois tableaux sont proposés à notre contemplation, chacun pour une des trois années liturgiques. Le jugement final nous était dévoilé l’an dernier. Nous en avons une représentation tout à fait saisissante dans le chef d’œuvre que nous en a laissé Michel-Ange, au début du XVIe siècle, sur le plafond de la chapelle Sixtine. Tel un guerrier terrible, le Christ y lève un bras droit tout-puissant depuis un trône où il parait tel un Dieu, qu’il est. L’année prochaine nous trouverons Jésus sur le trône de la Croix. Le « troisième homme » au centre d’un tableau invraisemblable. Jésus, si profondément incarné qu’il achèvera sa vie terrestre entre deux larrons. Insulté et montré du doigt par ses concitoyens juifs religieux.
Le tableau de cette année nous présente le discours même de Jésus sur sa propre Royauté. Il s’agit d’un discours entre Jésus et cet homme dont le nom connaîtra une postérité qu’il n’aurait jamais cru pouvoir envisager. Cet homme que tout le monde connaît désormais : Pilate. Chaque dimanche nous le mentionnons dans le Credo. Pilate représente ce monde évoqué tout à l’heure, un monde qui choisit ses dieux selon l’opportunité qu’ils présentent et dont le pouvoir, la puissance, la violence et l’hédonisme sont les chevaux de tête, si l’on peut dire. À cet homme d’un autre monde, mais qui partage pourtant parfaitement son humanité, Jésus parle un langage d’un monde tout autre. Le monde de la vérité. La Vérité qu’Il est, Lui, le Roi de l’univers. La vérité de Pilate c’est la rumeur de la foule, c’est le risque de débordement qui compromettrait sérieusement son avancement voire même peut-être aussi l’équilibre de sa tête entre ses deux épaules. La vérité de Jésus n’est pas mondaine, elle n’exclut personne. Au contraire : elle invite. Elle invite à écouter sa Parole et à en tirer une nourriture quotidienne pour la Vie éternelle. Cette Parole promet une paix royale, la seule qui soit véritable. La seule qui soit de la vérité. Cette paix là, il la donne comme il se donne lui-même (pacem meam do vobis). Tandis que la paix mondaine, il l’abandonne (pacem relinquo vobis) à ceux qui ne veulent pas d’ennuis, ceux qui n’appartiennent pas encore à la vérité, comme il le dit. Et Pilate en est, lui qui semble ne s’être jamais posé en profondeur la question de la vérité avant cet instant tragique.
Le dialogue que relate l’évangile ressemble assez à un dialogue de sourd. À un moment il va bien falloir que l’un des deux se taise, et c’est d’ailleurs ce qui arrivera : Jésus ne répondra bientôt plus rien. Les deux hommes ne sont pas du tout sous le même rapport. L’un veut sauver sa peau, l’autre vient sauver la peau des autres pour l’éternité. Il vient sauver l’humanité tout entière. Ces deux hommes semblent s’être rencontrés par hasard. Mais un hasard encore plus improbable que celui que Jésus eut naguère avec la Samaritaine : elle au moins, venait chercher quelque chose. Tandis que Pilate aimerait surtout « tourner la page », n’avoir pas à s’occuper de cette affaire. En un mot, Pilate aimerait bien s’en laver les mains. Et c’est du reste ce qu’il va finir par faire. Il n’écoutera pas son épouse qui lui a pourtant fait dire « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste ».
Alors la question qui peut se poser à nous est celle-ci : pourquoi l’Église a-t-elle tenu à nous faire passer par ce chemin là, par ce procès-là, pour célébrer la divine Royauté de Jésus ? La réponse tient en quelques mots. C’est le chemin que Jésus a choisi parce que son Père le lui a montré. Et son Père (qui est aussi le nôtre) le lui a montré parce que c’était le seul chemin qui pouvait aboutir à notre salut éternel. Et c’est ainsi que tout s’est déroulé, depuis la naissance de Pilate. Et toute sa vie le conduisit à ce dialogue avec le Roi de l’univers. Jusqu’à cet arbre planté des années années auparavant pour devenir un jour le trône sur lequel le Créateur de l’univers serait étendu : tout a contribué à cette gloire-là de Jésus.
Enfin, la solennité du Christ-Roi doit aussi nous rappeler la Victoire définitive du Christ. Cette vérité théologique est souvent méconnue ou bien absente de nos horizons terrestres bien trop souvent. Oui, Jésus a gagné, tout est terminé ! Sur certaines grandes hosties ; figure une inscription en dialecte dorien « Νικη », qui renvoie au grec classique « Nικα », c’est à dire : Victoire ou Victorieux ! Souvenons-nous en lorsque le prêtre élève l’hostie consacrée à la messe ! La Victoire est acquise à notre Dieu !
Avec Marie qui contempla toutes ces choses dans son Cœur, entrons dans l’action de grâce envers notre Dieu et Roi, sans avoir peur de prendre ce chemin d’apparente dérision. Le seul qui mène à la Vie éternelle, le chemin de la Victoire !
frère Laurent de Trogoff