Homélie pour le deuxième dimanche du temps ordinaire, à l'abbaye St Michel

Voici une semaine, la révélation au monde du Christ Fils de Dieu, fut renouvelée pour notre temps en la fête de l’Épiphanie puis du Baptême de notre Seigneur.

L’évangile de ce dimanche nous présente ce même Seigneur révélé à un tout petit groupe de personnes par un homme habituellement caché dans un désert. Cet homme écoute : c’est son désir, sa vie, sa mission, sa passion. Et pour cela il a choisi le désert. Au désert on ne voit rien. Élisée lui-même, lorsqu’il voulut voir Dieu se cacha au désert dans la fente d’un rocher, et il attendit et écouta. Lorsqu’il perçut le bruissement d’une poussière de silence, alors il sut que Dieu approchait. Mais il ne put le voir. Tout cela nous parle de notre Jean-Baptiste. Pour voir Dieu, il lui faudra quitter le désert. La mission qu’il reçut de baptiser conduit Jean-Baptiste à quitter le désert ou du moins à se rendre à la périphérie de son désert. Et c’est là qu’il baptisa le Christ, c’est là que ses yeux s’ouvrir, c’est là qu’il vit.

L’évangile que nous venons d’entendre fait 4 fois usage du verbe « voir ». Trois fois où Jean-Baptiste est sujet direct de la vision. Une fois où c’est Dieu qui lui a parlé afin de lui donner le sens de ce qu’il verrait. Ici nous percevons cette chose tout à fait capitale : si Dieu ne donne le sens d’une vision, nous voyons sans voir, ne regardons sans comprendre. Il faut une grâce spéciale pour voir Dieu, le reconnaître. Ce phénomène se reproduira encore au moment de la résurrection : les apôtres verront Jésus mais ne le reconnaîtront pourtant pas avant de recevoir la grâce nécessaire pour cela. Cela est d’autant plus frappant que Jean-Baptiste connaissait certainement son cousin germain ! Enfants, peut-être avaient-ils joué ensemble. Mais il lui fallut un collyre produit par Dieu lui-même pour que ses yeux s’ouvrent et qu’il puisse voir.

Cette vision de Jean-Baptiste ne signifie pas que Dieu fasse acception d’une personne sinon pour confier une mission particulière. Jean-Baptiste s’est disposé à recevoir cette révélation, précisément en se rendant dans un endroit désert où Dieu serait libre de lui faire entendre ce qu’Il voudrait lui faire voir ! Et Jean-Baptiste déclare : « voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Le mot « agneau » cache un autre sens, perceptible uniquement dans la langue vernaculaire de l’époque, l’araméen. Dans cette langue sémitique, les voyelles ne s’écrivent pas à l’écrit : on ne peut voir que les consonnes. Si bien que lorsqu’on applique certaines voyelles à un mot araméen on peut obtenir des sens différents, comme en hébreu par exemple. Or, voyellisé différemment, le mot qui est ici rendu par « agneau » peut aussi être rendu par « parole ». Ainsi, tout en disant « voici l’agneau de Dieu » Jean le Baptiste dit simultanément « voici la Parole de Dieu », « voici le Verbe de Dieu ».

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous parle de Jean-Baptiste et de sa mission spéciale ? C’est très simple : notre monde manque crucialement de ces hommes et de ces femmes qui reçoivent la mission, la grâce, la passion de désigner la présence du Messie au milieu de nous, de nous Le faire voir, de donner envie à d’autres de Le rencontrer et peut-être même de tout laisser pour Le suivre. En effet, « Comment mettre sa foi en lui, si on ne l’a pas entendu ? Comment entendre si personne ne proclame ? », écrit Paul aux Romains1.

Si vous ôtez Jean-Baptiste de notre évangile, aucun des disciples de Jean-Baptiste n’auraient remarqué le Christ, ni n’auraient pu le suivre. Ils seraient restés auprès de leur rabbi agoraphobe. Mais Dieu a voulu avoir besoin de cette médiation humaine, de ce Jean-Baptiste. Et Dieu qui n’a pas l’habitude de changer de méthode, nous mendie encore aujourd’hui cette médiation afin que tous ceux qu’il mettra sur nos routes puissent enfin voir celui qu’ils ne connaissent pas, qu’ils n’entendent pas mais qui est pourtant là au milieu d’eux !

Cet évangile nous apporte encore une révélation précieuse, toujours grâce à cette médiation humaine. Jean-Baptiste évoque Celui qui l’a envoyé, qui n’est autre que Dieu notre Père. Celui-ci lui a annoncé la descente de l’Esprit sur un homme, comme signe de reconnaissance de l’agneau de Dieu, parole de Dieu. Cette révélation est donc trinitaire. Le Père envoie l’Esprit qui désigne le Fils. Ainsi, cet évangile nous montre que là où se trouve le Fils de Dieu fait chair, se trouve aussi son Père et demeure en lui l’Esprit.

C’est parce qu’il a été fidèle à sa mission, à sa passion pour Dieu, à la passion de Dieu pour l’homme, que Jean-Baptiste a reçu ce don de pouvoir témoigner, de pouvoir désigner le Sauveur. Tel est le salaire de la fidélité à la Parole de Dieu. Lui qui cherchait à écouter la Parole que Dieu voulait lui dire, reçut la grâce de voir cette Parole incarnée, et de la désigner.

Au cœur de notre monde aveugle et rebelle à ce qui se voit de l’intérieur, soyons fidèles nous aussi à la Parole de Dieu. Sachons nous mettre à l’écoute cette Parole de Dieu qu’est l’Écriture Sainte, même si nous ne la comprenons pas encore toujours, pas tout à fait. Elle est inspirée, et produit donc toujours un effet de grâce qui pourrait bien nous surprendre.

Amen

1 Rm 10, 14.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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