Homélie pour la St Benoît 2023

« Il y eut une homme de vie sainte, Benoît, béni par la grâce et par le nom… qui se mit en quête d’un genre de vie sainte ». Ainsi ramasse saint Grégoire le Grand en quelques paroles nettes et droites la présentation du jeune Benoît de Nursie. Un homme en quête d’une vie sainte ! Rappelons-nous que le mot « saint » porte en lui une étymologie assez radicale, puisque « saint » signifie : séparé ! Mener une vie sainte signifiera donc : mener une vie séparée, une vie à part en quelque sorte. Et si cette vie est séparée, c’est que tous ne la mènent évidemment pas : elle est l’objet d’un appel, d’un choix, d’un engagement. De plus, il nous faut garder bien à l’esprit que les saints, ceux qui ont été déclarés saints par l’Église, ne sont pas nés saints ! Ils ont grandi et ont dû faire face à des situations qui les ont conduits à choisir et à choisir encore afin de rester fidèles à l’appel qui les habitait, afin de discerner le bon du mauvais, puis de se séparer de ce dernier. Et pour poser ces choix, à côté de la grâce qui nous est toujours donnée, ils ont dû apporter une part, leur part. Cette part est importante car il appartient à chacun d’y consentir ou pas. Ils ont tous dû avoir le courage de la confiance en Dieu, le courage de ne pas savoir, de ne rien maîtriser. Le courage, c’est plus qu’une audace. Car le courage évoque l’idée d’un effort face à une adversité. Aujourd’hui dans le monde, le courage n’est pas très en vogue. Chacun est plutôt encouragé – c’est le cas de le dire – à suivre sa pente, surtout lorsqu’elle descend.

En ce qui concerne Benoît, saint Grégoire nous raconte qu’il a dû faire un choix, une premier choix en quelque sorte, afin de répondre à un appel à la sainteté. Il a renoncé à l’étude des lettres à Rome où il avait été envoyé. Ce renoncement a pu aboutir parce que l’homme de Dieu a observé le comportement des étudiants d’alors. Et qu’a-t-il observé ? Il s’est rendu compte d’un fait dramatique : l’étude des lettres « était l’occasion pour beaucoup de tomber dans l’abîme des vices », comme l’écrit le saint Pape Grégoire. Ce n’est pas le mépris des lettres qui l’a éconduit de l’étude. Ce qui l’a fait rejeter cela, c’est l’incompatibilité d’un tel labeur avec le labeur qu’il s’était fixé pour répondre à l’appel à une vie sainte. Alors Benoît s’est séparé de ce milieu porteur d’une influence mauvaise. Il a en quelque sorte répondu directement à l’injonction de Dieu dans l’Ancien Testament : « vous serez saints car moi Dieu je suis saint »1 ! Ailleurs dans l’Écriture, l’apôtre Jacques écrit qu’il faut « se garder du monde »2, de l’esprit du monde. Ce premier effort de Benoît a permis la vie que nous connaissons et l’apparition de cette vie monastique bénédictine pour laquelle il nous faut constamment rendre grâce. Elle est donc fondée en quelque sorte sur un acte de courage, un choix posé par cohérence à une aspiration divine de mener une vie sainte.

La vie monastique est souvent décrite comme une vie de renoncements. Mais c’est la décrire sous un aspect négatif quoique juste. Il est possible aussi de la décrire comme une vie de choix cohérents les uns avec les autres, en vue d’un projet d’union à Dieu, projet déposé par Dieu lui-même dans l’âme de celui ou de celle qu’Il appelle à cela. Ce choix, en ce qu’il demande de prendre un chemin plutôt que l’autre, implique donc de renoncer à prendre un chemin au profit d’un autre. Et il faut souvent du courage pour poser de tels choix. Il peut même se trouver qu’il y ait un certain combat à mener, un combat à l’intérieur de soi-même entre le vieil homme qui se débat et l’homme nouveau qui aspire à la liberté des enfants de Dieu.

Ce courage de la cohérence nous est enseigné par les martyrs notamment comme le rapportait le Pape François dans une audience récente au sujet de saint André Kim : « Une fois il marcha dans la neige, sans manger, pendant si longtemps qu’il tomba par terre, épuisé, risquant de perdre connaissance et de finir congelé. C’est alors qu’il entendit soudain une voix : « Lève-toi, marche ! ». En entendant cette voix, André se redressa, distinguant comme l’ombre de quelqu’un qui le guidait »3.

Pour notre bienheureux Père saint Benoît, le choix de tout quitter demanda aussi un courage, qui lui permit de suivre une autre ombre, celle de sa conscience comme si elle marchait devant lui. Sans ce premier acte, nous n’aurions peut-être pas eu de vie bénédictine. Témoignons notre reconnaissance envers Benoît qui choisit d’être fidèle à la grâce que Dieu allait lui faire pour le bien de l’humanité.


Et nous aussi, avec Marie notre Mère, marchons avec courage et cohérence sur le chemin que Dieu nous trace, afin de mener à bien les œuvres qu’il a préparées pour que nous les accomplissions 4.


Amen


+ fr. Laurent de Trogoff

Prieur administrateur

1 Lv 20, 26 & 1P 1,16.
2 Jc 1, 27.
3 https://www.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2023/documents/20230524-udienza-generale.html
4 Ep 2, 11.

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