La pierre a été enlevée du tombeau, homélie de Pâques 2024
« La pierre a été enlevée du tombeau. » Voilà le signe qui a été donné à Marie Madeleine alors qu’elle se rendait sur la tombe de son maître, crucifié trois jours plus tôt. Et la jeune femme de courir auprès des disciples pour leur annoncer cette nouvelle extraordinaire. « La pierre a été enlevée du tombeau. » Mais de quelle pierre parle-t-on ?
Nous qui connaissons les évangiles synoptiques, nous savons par les évangélistes Matthieu et Marc qu’au moment de l’ensevelissement de Jésus, Joseph d’Arimathie avait fermé l’entrée du sépulcre au moyen d’une grande pierre. Ce procédé était courant dans l’Antiquité. On déposait le corps des défunts dans des tombeaux creusés dans le rocher, que l’on fermait d’une pierre. Celle-ci marquait ainsi la frontière entre le domaine des morts et celui des vivants. Et la pierre qui enfermait Jésus dans le tombeau, nous apprend saint Matthieu, avait été scellée. Car on ne revient pas du séjour des morts.
Il est intéressant de noter que, dans le quatrième évangile, le récit de la mise au tombeau du Christ ne fait pas mention de cette fameuse pierre tombale. L’évangéliste nous apprend que le corps de Jésus a été déposé dans un tombeau neuf par Joseph d’Arimathie et Nicodème, mais il ne précise pas comment le sépulcre a été fermé. La dernière fois que saint Jean nous a parlé d’une pierre, c’était quelques chapitres auparavant, quand Jésus se trouvait à Béthanie. « On enleva donc la pierre », écrivait alors l’évangéliste (Jn 11, 41). La pierre en question servait déjà à bloquer l’entrée d’un tombeau : celui de Lazare. En rapportant, au matin de Pâques, la découverte par Marie Madeleine de la pierre enlevée du tombeau, l’évangéliste rapproche donc l’une de l’autre deux sépultures, qui pourraient bien n’en faire qu’une seule : celle de Jésus et celle de Lazare. « La pierre a été enlevée du tombeau. » La pierre et le tombeau dont il est question ici renvoient bien sûr à la sépulture de Jésus, mais aussi à celle de Lazare. Ces deux épisodes s’éclairent l’un l’autre.
Au matin du premier jour de la semaine, Madeleine constate que la pierre a été enlevée du tombeau de Jésus, mais elle n’en sait pas plus. Comment cela s’est-il produit ? Qui a enlevé cette pierre ? Qu’est devenu le corps de Jésus ? À toutes ces questions que se pose peut-être Marie Madeleine, le récit de la résurrection de Lazare apporte des éléments de réponse. Devant le sépulcre de son ami, Jésus avait ordonné : « Enlevez la pierre. » (Jn 11, 39), et peu après, le mort était sorti vivant du tombeau. De même, en découvrant avec Marie de Magdala que la pierre a été enlevée du tombeau du Seigneur, nous pouvons deviner que celui-ci en est sorti vivant. Et nous comprenons également pourquoi cette pierre a été enlevée du tombeau : c’est parce que Jésus lui-même en a donné l’ordre. « J’ai le pouvoir de donner [ma vie], j’ai aussi le pouvoir de la reprendre » avait-il déclaré aux pharisiens (Jn 10, 18). C’est par le pouvoir de sa propre divinité que Jésus a brisé les portes qui l’enfermaient dans la mort.
En sens inverse, la résurrection de Jésus vient donner tout son sens à celle de Lazare, cet homme tout simple qui nous représente tous. Si le sépulcre du Seigneur ressemble tant à celui de Lazare, c’est qu’il est venu le rejoindre dans sa tombe à lui. Jésus est venu s’unir à nous dans notre propre mort. Il est venu nous chercher jusque dans notre tombeau pour nous en faire sortir. Sa résurrection est le gage de notre propre résurrection. À Béthanie, Lazare est revenu à une vie terrestre, et il a dû mourir de nouveau. En ce sens, sa sortie du tombeau était plus une réanimation qu’une véritable résurrection. Mais le rapprochement opéré par l’évangéliste entre sa réanimation et la résurrection de Jésus au matin de Pâques nous invite à voir en elle le signe de notre propre résurrection dans la gloire avec le Christ.
Frères et sœurs, « la pierre a été enlevée du tombeau » ! Voilà la bonne nouvelle, l’évangile que nous recevons en ce matin de Pâques. Par sa résurrection, le Christ a brisé les portes de la mort. Il a libéré les hommes, qu’elle retenait captifs dans ses filets. Le prince de la vie a remporté la victoire décisive ! Les thuriféraires de la culture de mort peuvent bien sceller leurs acquis d’un sceau constitutionnel, nous savons que tôt ou tard, comme celui que les pharisiens avaient apposé sur le sépulcre, ce sceau finira par voler en éclats. Les cantonniers de l’Hadès peuvent bien promouvoir une conception de la fraternité semblable à celle de Caïn, nous savons que leurs manœuvres, ultimement, sont vouées à l’échec. « Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? » (1 Co 15, 55). Oui, le Christ est sorti vivant du tombeau, il est vraiment ressuscité ! Amen, alléluia !
fr. Jean-Vincent, abbé