Homélie pour la Fête-Dieu, 16 juin 2022

Toutes les volutes de tous nos encens, toutes les mélismes sublimes de tous nos chants sacrés, toutes nos adorations vertueuses et silencieuses convergent vers une même réalité visible que les apparences condamnent et décrivent comme « un morceau de pain muet ». L’unique clef de toutes ces cérémonies qui en ouvre l’intelligence et le goût, « l’effatah » de tous ces agirs opaques à notre monde qui se penche à travers les fenêtres de nos édifices dédicacés au Dieu Tout puissant, c’est la foi ! Une foi que les mondanités embruités ne peuvent entendre ni discerner tout étanches qu’elles sont à l’eau de la grâce, et répulsives au collyre apocalyptique (c’est à dire révélateur) qui donne à l’œil de notre foi de voir l’invisible.

Était-il plus élémentaire de voir et confesser en Jésus le Messie, le Fils du Dieu Très haut, vrai Dieu et vrai homme ? Pourtant ce Verbe parlait, lui au moins. Mais toutes la verbification charnelle des divines paroles entendues auprès de son Père avaient beau sonner mélodieusement et avec répétition aux tympans de son auditoire araméisé, Jésus n’atteignait presque jamais les cœurs humains. À l’heure la plus tragique « tous prirent la fuite » !

Et pourtant dans le silence des adorations, aux âmes fidèles, ce Pain consacré, vrai Corps du Christ, parle jusqu’au cœur comme une maman apprend à son enfant avec des mots qui n’appartiennent qu’à elle que Jésus est là, dans l’hostie que vient de consacrer le prêtre. Il arriva même un jour qu’une jeune musulmane accompagnant des amies chrétiennes à une adoration eucharistique vînt après la cérémonie demander au prêtre s’il était possible d’avoir une photo de ce visage qui lui avait souri si tendrement pendant tout le temps de ce mutisme eucharistique adoratoir ! Ce qui montre combien la foi des uns peut ouvrir l’œil des autres, lorsque le Seigneur le permet.

Cette fête du Corps et du Sang du Christ ne met pas seulement en jubilation l’œil de la foi des fidèles laïcs. C’est aussi la jubilation des prêtres dont les mains messianisées de saint chrême permettent au Christ d’être là, d’être donné, d’être partagé et de donner la vie au monde. Ils touchent le Christ-Dieu médiateur afin de pouvoir aussi approcher et toucher l’image du Christ présent dans tout homme depuis que Dieu l’a créé ainsi, et lui montrer si possible quelque chose du visage ineffable de notre Père des cieux qu’ils figurent. De ceux-ci Jésus est le divin Mentor, selon l’éloquence évangélique du « disciple que Jésus aimait », merveilleux peintre des agenouillements divins devant la créature stupéfiée d’être conviée à la Cène de son Dieu fait homme.

[C’est donc] « vraiment [la] fête de Dieu, mais aussi [la] fête de l’homme, étant la fête du Christ-médiateur présent dans l’Hostie pour donner Dieu à l’homme et l’homme à Dieu. L’union divine est l’aspiration de l’humanité ; à cette aspiration, ici-bas même, Dieu a répondu par une invention du ciel. L’homme célèbre aujourd’hui cette divine merveille »1. Le Créateur qui connaît ce qu’il en est du cœur de l’homme, nourrit Lui-même sa créature enamourée, de la seule « provision » qui puisse alimenter en elle l’aspiration béante à la vision de Dieu pour laquelle elle a été faite. Ainsi l’amour infini aime jusqu’à la fin, jusqu’à l’extrême, une fin sans fond, puisque l’amour ne passera jamais.
Ainsi l’exige l’Esprit de Dieu : que nous soyons associés à la vie divine dès ici bas ! Telle est la messe qu’après Dieu nous devons à nos prêtres, lourdement, évangéliquement et ecclésialement chargés de réactualiser l’unique sacrifice dont le fruit lave et affermit le cœur de tout homme de bonne volonté, devenu fils adoptif de Dieu. Désormais le miel coule de la pierre, de même qu’au jour de la Résurrection le miel fut un signe de l’humanité ressuscité du Christ2, commencement et fin de toute chose.

« O banquet sacré où est reçu le Christ, [où est] renouvelée la mémoire de sa passion, [où] l’âme [est] remplie de grâce, et [où enfin est] donné le gage de la gloire future »3 !
Que la Vierge qui nous a donnés ce Fils et à laquelle son Fils nous a donnés, nous conduisent jusqu’aux secrets de cet Amour !

Amen

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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