Des langues de feu | Homélie du 19 mai 2024
Le récit de la Résurrection que nous avons entendu à la vigile pascale dans l’évangile de saint Marc se termine de façon assez abrupte. Aussitôt après avoir décrit la visite des saintes femmes au tombeau et leur rencontre avec un jeune homme vêtu de blanc, l’évangéliste nous rapporte que celles-ci « ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (Mc 16, 8). Le messager céleste qui leur avait annoncé la résurrection de Jésus, les avait pourtant invitées à transmettre à leur tour cette bonne nouvelle aux disciples. La bonne nouvelle de la Résurrection ne devait pas rester cachée. Le mystère pascal ne pouvait trouver son plein accomplissement que lorsque l’annonce du salut aurait été rendue publique. En effet, l’hymne aux Philippiens, qui chante l’abaissement volontaire du Christ Jésus et son exaltation auprès du Père, ne se termine pas sans annoncer le témoignage que lui rendra toute créature, au ciel, sur terre et aux enfers, afin « que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 11). Comment se fait-il, dans ces conditions, que les femmes aient gardé le silence ? Que manquait-il aux premiers témoins de la Résurrection pour leur permettre de partager cette bonne nouvelle ?
Saint Paul nous en donne la réponse lorsqu’il écrit que « personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint » (1 Co 12, 3). Il est impossible de proclamer la grande nouvelle de Pâques sans avoir reçu le don de l’Esprit. Nos pauvres capacités humaines sont trop faibles pour annoncer le grand mystère de notre rédemption. Nous avons besoin pour cela de l’Esprit de vérité. Comme nous l’avons entendu dans l’évangile, c’est lui qui rend à Jésus un témoignage en sa faveur. C’est la raison pour laquelle, avant de remonter vers le ciel, le Christ a demandé à ses disciples de rester à Jérusalem pour y attendre le don de l’Esprit Saint.
Et voilà que cinquante jours après l’événement de la Résurrection, le jour de la Pentecôte, les disciples voient se poser sur chacun d’eux « des langues qu’on aurait dites de feu ». C’est donc sous l’aspect de langues que l’Esprit se manifeste à la communauté apostolique. Et le premier effet provoqué par sa venue est de faire parler les disciples en d’autres langues pour proclamer les merveilles de Dieu à tous les peuples de la terre. Saint Pierre se fait leur porte-parole. Il annonce aux hommes de toutes les nations présents à Jérusalem la merveille des merveilles : la bonne nouvelle de la Résurrection.
Et sa prédication s’exprime dans un discours enflammé. Rien d’étonnant à cela, puisque la langue qui vient de se poser sur lui, comme sur chacun des apôtres, est une langue de feu. Quelle est donc cette langue qui n’est pas faite de muscles ni de chair ? Le prophète Isaïe nous l’apprend : c’est celle du Seigneur lui-même, car « sa langue, écrit-il, est un feu dévorant » (Is 30, 27). C’est elle qui vient d’être donnée aux apôtres. À travers eux, c’est l’Esprit Saint lui-même qui atteste à tous les peuples la mort et la résurrection du Christ. Venus de toutes les nations sous le ciel, les hommes rassemblés à Jérusalem entendent, chacun dans son propre dialecte, le message proclamé par les disciples. Ceux-ci s’expriment en effet « selon le don de l’Esprit », et parlent ainsi des langues diverses et variées. Le don de l’Esprit n’est pas le même pour chacun des apôtres, mais tous ont reçu quelque chose qui leur est commun : une langue de feu. Tous annoncent la Résurrection avec des paroles enflammées. Remplis de l’Esprit Saint, ils ne peuvent plus se taire.
Nous aussi, comme les apôtres en ce jour de la Pentecôte, nous allons recevoir le Saint-Esprit. À travers les offrandes que nous déposerons sur l’autel, c’est toute notre vie que nous présenterons au Seigneur pour qu’il la sanctifie. Et au moment de l’épiclèse, l’Esprit de Dieu fondra sur elle comme un feu dévorant. Par la communion, nous nous unirons au sacrifice eucharistique et nous serons nous aussi remplis du feu de l’Esprit Saint. Saint Jean Chrysostome ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « nous quittons cette table comme des lions qui soufflent le feu ».
Et comme les apôtres, nous sommes appelés à proclamer autour de nous la résurrection du Seigneur avec une ardeur enflammée. Certes, on demande rarement aux bénédictins d’assurer des prédications populaires à la manière de saint Vincent Ferrier. Et les familles ne sont pas toutes appelées à partir en mission à l’autre bout du globe. Mais tous nous pouvons demander à l’Esprit Saint d’établir en nous sa demeure afin de rendre témoignage au Fils de Dieu ressuscité, en vivant l’humilité de notre vie quotidienne avec, dans le cœur, un feu dévorant. Viens Esprit Saint, remplis le cœur de tes fidèles, et allume en eux le feu de ton amour. Amen, alléluia !
+ fr Jean-Vincent Giraud, abbé